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Génocide des Tutsis: «La condamnation de Bucyibaruta signe un rapprochement entre Paris et Kigali»

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Plus de 28 ans après le génocide des Tutsis au Rwanda, un ex-préfet rwandais réfugié en France depuis 25 ans a été condamné mardi à 20 ans de réclusion criminelle pour complicité de génocide, par la cour d'assises de Paris. Comment les deux pays en sont arrivés là après des années de brouille ? Où en sont leurs relations ? Réponse avec Paul Simon Handy, directeur du bureau de l'Institut d'études de sécurité d'Addis-Abeba.

Ce croquis d’audience montre Laurent Buciybaruta lors de l’ouverture de son procès, à Paris, le 9 mai 2022. Il est accusé de complicité dans le génocide au Rwanda.
Ce croquis d’audience montre Laurent Buciybaruta lors de l’ouverture de son procès, à Paris, le 9 mai 2022. Il est accusé de complicité dans le génocide au Rwanda. © AFP / BENOIT PEYRUCQ
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RFI : Le procès qui vient de se conclure devant la cour d’assises de Paris concernait cette fois un ex-préfet, Laurent Bucyibaruta. C’est le plus haut responsable rwandais jamais jugé en France pour des crimes liés au génocide des Tutsis en 1994 au Rwanda. Est-ce que cela peut être considéré comme un signe supplémentaire du réchauffement des relations entre Paris et Kigali ?

Paul-Simon Handy : Très certainement, oui. Le procès et surtout la condamnation de monsieur [Laurent] Bucyibaruta est certainement un signe de plus que les relations entre Paris et Kigali se sont réchauffées. Ce réchauffement a commencé il y a quelques années déjà et depuis justement un certain nombre d’années, on a vu Paris laisser se passer des enquêtes et même des instructions judiciaires contre des personnes soupçonnées d’avoir participé au génocide au Rwanda en 1994.

On a l’impression d’assister aujourd’hui à une sorte de lune de miel entre la France et le Rwanda. Qu’est-ce qui a poussé Paul Kagame et Emmanuel Macron à un tel rapprochement ?

Il faut dire que le rapprochement est peut-être consacré sous la présidence [Emmanuel] Macron, mais il avait déjà été entamé par le président français [Nicolas] Sarkozy dans les années 2010. Ce qui les pousse, c’est tout simplement une conjonction de circonstances. Une situation globale, une situation nationale un peu plus prête, mais aussi une convergence d’intérêts au niveau économique et sécuritaire en Afrique qui a convaincu très certainement les deux parties qu’un rapprochement serait dans l’intérêt du Rwanda et de la France.

Des organisations de défense des droits de l’homme accusent Paris d’être devenue atone sur les violations des droits de l’homme au Rwanda. Est-ce que cela est lié, selon vous, à ce rapprochement ?

Si Paris ne se rapproche pas, on accuse Paris de complicité de génocide ; quand Paris se rapproche, on l’accuse de ne pas faire attention aux violations des droits de l’homme. Je pense que oui, le rapprochement de Paris nécessite certainement quelques compromis, et de ce côté, je ne pense pas que la France soit la seule à faire abstraction de certains développements au Rwanda. Le Rwanda a réussi à imposer son style à lui et tous ses partenaires stratégiques acceptent cet état de fait.

Ce rapprochement n’a pas eu apparemment d’incidence sur le fort ancrage anglophone du Rwanda comme on vient de le voir avec le sommet du Commonwealth à Kigali ?

Je ne pense pas que l’objectif du rapprochement était de faire sortir le Rwanda du Commonwealth. Non. Il faut dire que sous la présidence [Paul] Kagame, le Rwanda post-génocide a été dirigé par une classe de personnes qui étaient anglophones. Donc, le rapprochement à mon avis avait plus pour but d’ailleurs d’arrêter peut-être la perte de l’influence française et francophone au Rwanda que plutôt de l’empêcher de s’ancrer dans l’espace anglophone.

Au-delà de l’aspect mémoriel et diplomatique, on constate un début de reprise de la coopération, notamment sur le plan militaire avec la récente visite du chef d’état-major de l’armée rwandaise à Paris, le général Jean Bosco Kazura au mois de mars. Peut-on parler aujourd’hui d’une sorte de convergence d’intérêts stratégiques entre Paris et Kigali ?

Tout à fait. Je pense que les obstacles mémoriels étant enlevés, rien ne s’oppose plus à un approfondissement des relations diplomatiques, économiques, aussi en matière de sécurité et de défense lorsque stratégiquement les intérêts convergent. Étant donné que les deux pays, le Rwanda comme la France, sont en pleine phase de réorientation de leur engagement stratégique en Afrique. S’appuyer sur un partenaire comme le Rwanda, un partenaire avec une vraie vision panafricain, avec une vraie volonté d’apporter des solutions africaines aux problèmes du continent, la France fait certainement un choix stratégique qui peut s’avérer payant à moyen et à long terme.

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