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«La mort d’al-Zawahiri ne déstabilisera pas significativement l’action d’Aqmi»

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Quelles peuvent être les conséquences de la mort d’Ayman al-Zawahiri au Sahel ? Le chef de l’organisation terroriste al-Qaïda a été tué le week-end dernier dans une frappe américaine. Si Aqmi n’est plus aussi forte que par le passé, elle s’est en revanche très fortement implantée au Sahel au cours des dernières années. Éléments de réponse de Guillaume Soto-Mayor, chercheur associé au centre africain d’études pour la paix Timbuktu Institute, et spécialiste des groupes jihadistes et du crime organisé au Sahel.

Le numéro 1 de l'organisation terroriste al-Qaïda Ayman al-Zawahiri a été tué par une frappe aérienne américaine le week-end dernier.
Le numéro 1 de l'organisation terroriste al-Qaïda Ayman al-Zawahiri a été tué par une frappe aérienne américaine le week-end dernier. © REUTERS
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Ayman al-Zawahiri était l’un des principaux architectes de la stratégie d’al-Qaïda au Sahel : quelles sont les principales lignes qu’il avait édictées ?

Guillaume Soto-Mayor : Ayman al-Zawahiri a donné effectivement une ligne claire de l’action d’al-Qaïda en Afrique de l’Ouest et en Afrique en général, et ses principes d’action étaient respectés à la lettre. Dès qu’il y a eu un élément qui a dévié de cette ligne directrice, il a été sévèrement rappelé à l’ordre. Pour rappeler très rapidement ces différents principes clés de la stratégie al-Qaïda dans la zone : c’est une implantation qui est respectueuse des traditions à la fois religieuses et tribales, c’est-à-dire que c’est un respect également des structures de pouvoir local. On est dans une logique de jihad défensif dans lequel on vient répondre à l’appel des communautés musulmanes qui font face à une oppression d’un État ou d’un envahisseur extérieur.

Le deuxième, c’est un principe de réalité, important chez al-Qaïda partout dans le monde : prendre en considération les capacités réelles des katibas, des différents bataillons d’al-Qaïda, c’est-à-dire qu’on adapte la stratégie à la force de l'ennemi en face.

L’autre élément, c’est qu’on concentre les efforts contre les croisés, contre les potentats locaux qui sont perçus comme étant oppressifs, corrompus et soutenus par des puissances étrangères. Donc c’est, encore une fois, une concentration de l’action contre un ennemi que sont les représentants d’États occidentaux et le représentant d’un État qui est vu comme illégitime. Enfin, un point fondamental qu’a prôné Ayman al-Zawahiri dans l’expansion d’al-Qaïda à travers l’Afrique, c’est d’encourager autant que possible une unification des moudjahidines sur le continent.

Ce respect des pratiques islamiques locales, au moins dans un premier temps, pour pénétrer les territoires et s’allier les populations, est une spécificité d’al-Qaïda. Est-ce que c’est ça la principale différence avec la stratégie du groupe État islamique, au Sahel ?

Vous avez tout à fait raison. C’est une des différences majeures, cette relation aux populations civiles et à l’utilisation de certaines jauges de violence. Il y a une forme d’indiscrimination dans l’utilisation de la violence côté État islamique, sur laquelle al-Qaïda est capable d’avoir plus de nuances avec cette logique de pénétration des territoires, avec des populations avec lesquelles elle tente de s’allier sur le long terme.

Est-ce que la mort d’Ayman al-Zawahiri affaiblit Aqmi, la branche sahélienne d’al-Qaïda ?

En réalité, al-Qaïda au Maghreb islamique a été créé par Ayman al-Zawahiri, avec le soutien de quelques autres grands leaders d’al-Qaïda central qui ont contribué, aux côtés d’Abdelmalek Droukdel au début des années 2000, à ériger un premier bataillon d’al-Qaïda en Algérie, puis un deuxième qui, dès le départ, était réfléchi comme devant étendre l’action d’al-Qaïda vers le Sahel. Et ce bataillon, à l’époque, était dirigé notamment par Mokhtar Belmokhtar. Mokhtar Belmokhtar avait connu sur une brève période de temps Ayman al-Zawahiri au Pakistan. Et cette connaissance personnelle du leader d’al-Qaïda central conférait un statut à Mokhtar Belmokhtar, une indépendance, une autonomie, y compris vis-à-vis du leadership d’Aqmi et auprès également de Droukdel, qui le jalousait d’ailleurs sur cette connaissance personnelle du leader d’al-Qaïda central.

C’est là où on voit vraiment l’importance de cette validation par le leadership d’al-Qaïda central de l’action conduite par Aqmi à travers toute l’Afrique de l’Ouest. Al-Qaïda est une structure verticale, dans laquelle il existe une choura centrale, une choura ensuite au niveau d’al-Qaïda au Maghreb islamique en Algérie, puis ensuite différentes chouras également au niveau du Jnim (Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans, ndlr), au niveau sahélien. Et ce sont donc ces différentes chouras qui garantissent la continuité de l’action d’al-Qaïda. Donc, je ne pense pas, en résumé, que ça va provoquer une quelconque déstabilisation significative de l’action d’al-Qaïda au Maghreb islamique.

Vous avez parlé d’Abdelmalek Droukdel, ancien chef d’Aqmi tué au Mali par l’armée française il y a deux ans. Depuis c’est un autre Algérien, Obeida Youssef al-Annabi qui a pris la tête d’Aqmi. Il était proche d’al-Zawahiri ? Vous avez aussi parlé du Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans (Jnim), dirigé par le Touareg malien Iyad Ag Ghaly. On sait quelles étaient ses relations avec lui ?

La connexion existait effectivement, je vous l’ai dit, entre Ayman al- Zawahiri et Abdelmalek Droukdel. Elle est beaucoup plus difficile à définir sur son successeur. Al-Annabi est un vétéran du jihad algérien, il a donc vraisemblablement eu des formes de communication avec Ayman al-Zawahiri, notamment au moment de sa nomination. Pour autant je ne peux dire, et je serai très prudent sur le fait d’affirmer qu’il avait une quelconque forme de connexion personnelle avec le leader d’al-Qaïda central.

Pour ce qui est d’Iyad Ag Ghaly, c’est nettement plus improbable qu’il ait connu Ayman al-Zawahiri : les communications sont hiérarchisées, et donc la connexion d’Ayman al-Zawahiri avec un niveau comme celui d’Iyad Ag Ghaly passait davantage par le biais de leaders d’Aqmi côté algérien, qui supervise l’action d’al-Qaïda à travers l’Afrique de l’Ouest.  

Sur le dialogue, sur les négociations entre les groupes jihadistes et les gouvernements locaux, on pense notamment au Mali. C’est une question qui revient régulièrement, est-ce qu’al-Zawahiri s’était prononcé sur le sujet ?

Ayman al-Zawahiri a toujours eu la même position vis-à-vis des négociations à travers le monde. Ces négociations doivent toujours permettre d’avancer le projet d’al-Qaïda, le projet d’accession au pouvoir sur un territoire d’Islam. Il n’est pas question de faire des compromis sur le plan idéologique, par exemple sur l’implantation de la charia et de la Sunna, sur lesquelles aucun compromis ne peut être fait. Il peut y avoir en revanche des compromis locaux, en fonction des réalités du conflit et de l’évolution des rapports de force à un niveau local.

Guillaume Soto-Mayor est aussi l'auteur de l’article Jihadistes en Afrique : des hors-la-loi sans religion ?, publié par la revue Le Grand Continent en mai 2022.

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