Le grand invité Afrique

Dépigmentation de la peau: «Plus on se rapproche des phénotypes africains, plus on est dévalorisé»

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Comment lutter contre le fléau des produits censés éclaircir la peau ? Pour en parler, Hannelore Ver-Ndoye, enseignante et auteure du livre Décolorés, un panorama de la dépigmentation volontaire de la peau, est notre Invitée Afrique ce matin. Elle répond aux questions de Claire Fages.

Les produits censés éclaircir la peau sont interdits dans plusieurs pays en Afrique.
Les produits censés éclaircir la peau sont interdits dans plusieurs pays en Afrique. © Shutterstock / Prostock-studio
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Une polémique fait rage en ce moment au Cameroun, au sujet d’une boisson censée éclaircir la peau, mais interdite par le ministre camerounais de la Santé. L’offre de produits qui dépigmentent la peau se renouvelle sans cesse malgré les risques, comment expliquer que ce secteur soit aussi florissant ?

Effectivement, il y a une offre qui se renouvelle sans cesse parce qu’il y a un marché, la demande est importante et même en croissance. Ceci est notamment dû au fait que pour conserver un teint dépigmenté, il faut sans cesse utiliser des produits, sinon la peau redevient foncée. Par exemple, si ce sont des produits cosmétiques dépigmentant que l’on utilise, on va s’appliquer une ou deux fois par jour un savon, plus une crème, plus un sérum spécial genoux… Ça représente des bénéfices importants, une aubaine financière pour des personnes qui sont ou qui s’improvisent homme d'affaires ou influenceur et qui vendent des produits dangereux sans aucun scrupule, avec un marketing mensonger, tout ça pour se faire de l’argent en surfant sur le prestige du teint clair que l’on retrouve encore beaucoup sur le continent.

Il y a évidemment une dimension historique et identitaire à ce phénomène lié au racisme, et à la colonisation, vous parlez d’une idéologie, le « colorisme », et vous rappelez que c’est un phénomène mondial…

Tout à fait. Le colorisme, c'est une hiérarchisation graduelle des individus selon le degré de mélanine dans la peau, et c’est un mécanisme que l’on va retrouver au sein même des populations de couleur. C’est donc un traitement préférentiel des teints les plus clairs : plus on est clair, mieux c’est, plus on va être considéré comme beau, attirant, plus on va être privilégié dans l’accès à l’emploi. Ce mécanisme prend, bien sûr, naissance pendant la colonisation, et on le retrouve aujourd’hui un peu partout malheureusement : en Inde, au Sénégal, aux Philippines, en Jamaïque, au Maroc… Il perdure un certain prestige social à avoir un teint clair. J’ajouterai même que parallèlement à la couleur de peau, il y a aussi la question des cheveux et des traits faciaux, où plus on se rapproche des phénotypes africains, plus on est dévalorisé.

Évidemment, les conséquences des méthodes de blanchiment de la peau peuvent être tragiques, des brûlures au cancer. Des législations se mettent en place, est-ce qu’elles sont suffisantes et est-ce qu'il ne faut pas passer par un vrai changement des mentalités ?

Oui, il y a des lois qui se mettent en place, mais ça ne suffit pas. Au sein de l’Union européenne, par exemple, certains produits sont interdits, mais on les retrouve facilement, et il y a un grand nombre de produits qui restent dangereux sur le marché. Au Sénégal, ce sont les publicités qui sont interdites, mais la pratique se retrouve dans toutes les sphères et est très présente. Au Rwanda, ce sont tous les produits qui sont interdits, ce qui est une prise de décision forte et bénéfique, mais ces produits arrivent quand même à passer les frontières et à se retrouver sur le marché illégalement. Donc il y a beaucoup à faire pour encadrer plus durement les produits dépigmentants en vente, pour renforcer les contrôles, pour pénaliser ceux qui les commercialisent et qui commercialisent des poisons avec un marketing mensonger. Surtout, il est important d’homogénéiser ces lois à l’échelle internationale.

On se rend compte que cette demande de dépigmentation perdure, ça passe peut-être aussi par un changement des mentalités. Est-ce que le mouvement « Black Lives Matter » et ce changement de regard de la société sur les couleurs de peau, sur la diversité, qui devient de plus en plus apparente, est-ce que ça ne va pas permettre aux mentalités de changer in fine ?

Je pense que c’est une impulsion importante. On le voit, ça a une influence sur les réseaux sociaux où l'on a de plus en plus de beautés noires qui se sont affirmées, et ça, c’est quelque chose qu’on voyait peut-être moins avant. Donc ça a une impulsion qui est importante qu’il faut continuer à alimenter pour diffuser notamment à travers les médias cette réalité-là : les peaux foncées sont belles, que l’on soit en Inde, au Sénégal... Il n’y a pas de raisons finales à ce que les carnations foncées soient jugées moins esthétiques que d’autres, et il est temps que les mentalités évoluent à ce niveau, ça fait partie d’un basculement à opérer.

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