Présidentielle au Kenya: «C'est une élection extrêmement serrée avec moins de 2% d'écart»
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Pas de violences, le 5 septembre au Kenya, après la confirmation de la victoire de William Ruto à l’élection présidentielle du mois dernier. Il faut dire que le battu, Raila Odinga, a déclaré qu’il respectait le verdict de la Cour suprême. Est-ce le signe qu’au Kenya, la justice est désormais indépendante et que les hommes politiques n’essaient plus de faire pression sur elle ? Nicolas Delaunay, directeur d’International Crisis Group pour l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe, répond aux questions de RFI.
Dans son recours, le camp de Raila Odinga affirmait notamment que les serveurs informatiques de la Commission électorale avaient été piratés pour y introduire des formulaires de résultats falsifiés, et hier, la Cour suprême a répondu qu’elle n’avait aucune preuve crédible de tels actes de piratage…
Nicolas Delaunay : En effet, non seulement elle a indiqué qu’elle n’avait aucune preuve crédible dans le piratage, mais en plus de cela, elle a souligné que la loi électorale kenyane est très claire : les résultats qui font foi lors du comptage des voix, ce sont les copies papier qui sont recueillies dans les différents bureaux de vote et dans les centres de comptage des voix à travers le pays. Lorsqu’elle a confronté les résultats papier avec les résultats qui avaient été transmis via les serveurs, elle n’a remarqué aucune différence entre les résultats. Donc, la Cour suprême a en effet estimé que les serveurs de la Commission électorale n’avaient pas été piratés.
Autre fait marquant dans la décision de la Cour suprême d’hier, elle a été prise à l’unanimité des sept juges de la Cour. Qu’en pensez-vous ?
Je pense que c’est une décision qui est extrêmement forte de la part de la Cour suprême, recevoir le soutien unanime d’une institution qui, elle, contrairement à la Commission électorale, est très respectée à travers le pays, je pense que cela donne beaucoup de crédibilité aux élections dont la transparence et la crédibilité ont d’ailleurs été soulignées par de nombreux observateurs électoraux.
Et est-ce pour cela qu’hier, le battu, le vaincu, Raila Odinga, a affirmé : « Nous respectons l’opinion de la Cour suprême même si nous sommes farouchement en désaccord avec sa décision » ?
C’est une vraie victoire finalement pour la démocratie kenyane, c’est qu’on peut avoir une élection qui est contestée, très contestée, mais qui reste pacifique. Il faut rappeler qu’en 2007, le Kenya a connu des élections qui ont été très disputées, qui ont été suivies par des violences qui ont fait plus de 1 000 morts. Cela prouve que le Kenya a énormément évolué depuis et que la réaction d’Odinga, qui était de respecter le verdict de la Cour, même s’il y est farouchement opposé, est un bel exemple de cette évolution.
Et qu’en est-il de la présidente de cette Cour suprême, l’ancienne avocate Martha Koome, est-ce une personnalité respectée au Kenya ?
Je pense que la présidente de la Cour suprême, comme toute la Cour suprême d’ailleurs, est très respectée au Kenya. Après les violences qui ont eu lieu en 2007, le Kenya s’est doté d’une nouvelle Constitution, une Constitution assez progressiste, et le renforcement des institutions judiciaires est une réelle avancée. Le processus de recrutement des juges a par exemple été rendu beaucoup plus transparent avec les audiences publiques avant leur nomination. Et donc, l’indépendance du système judiciaire kenyan est une réelle fierté du pays. Le plus bel exemple de cette indépendance, on le voit en 2017 quand [Uhuru] Kenyatta vient de se faire réélire pour un deuxième mandat ; son rival de l’époque qui est Raila Odinga dépose un recours devant la Cour suprême et la Cour suprême prend une décision qui va à l’encontre de l’exécutif, c’est-à-dire qu’elle décide d’annuler l’élection présidentielle et de demander qu’elle soit à nouveau organisée. Ce qui démontre une indépendance farouche de la part des institutions judiciaires kenyanes.
C’est maintenant William Ruto qui va présider le Kenya pendant les 5 ans qui viennent. Quel est le premier défi pour le nouveau chef de l’État kenyan ?
Le principal défi pour William Ruto va être de répondre aux attentes qu’il a suscitées. William Ruto a fait campagne comme l’homme du peuple, comme un homme aux origines modestes. Il comprend la situation de pauvreté dans laquelle se trouvent de nombreux Kenyans. Or, il hérite d’une situation économique qui était très compliquée. Le Kenya par exemple pratique une politique de subsides, notamment pour le carburant et pour certaines denrées alimentaires, qui n’est pas tenable sur le long terme. Donc, son grand défi finalement va être notamment de gérer les attentes d’une population à laquelle il a promis beaucoup de choses.
Est-ce à dire que, dans le Kenya d’aujourd’hui, le poids des ethnies compte moins qu’il y a quelques années ?
Je pense que le Kenya n’est pas totalement sorti de la dynamique qui consiste à mobiliser les différentes communautés et les groupes ethniques comme blocs électoraux. Mais si je retiens un élément très positif de ce processus électoral, c’est que la campagne a beaucoup moins porté sur la mobilisation justement de ces communautés l’une contre l’autre, et a beaucoup plus porté sur des questions comme le coût de la vie, comme le développement du pays. Et ça, c’est un développement qui est très positif, notamment au vu du passé du pays qui a connu des cycles électoraux violents.
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