Présidentielle au Nigeria en 2023: «On risque d'avoir très peu de votants»
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Une très longue campagne électorale s'est ouverte la semaine dernière au Nigeria. Les prétendants au fauteuil présidentiel ont jusqu'au 25 février 2023 pour convaincre les électeurs. Dans un contexte d'insécurité et de grave crise économique, les deux principaux partis politiques nigérians, l'APC et le PDP, peuvent-ils continuer à dominer le jeu politique ? Se dirige-t-on vers un scrutin plus ouvert ? Entretien avec Benjamin Augé, chercheur à l'Institut français des relations internationales (Ifri).

Dix-huit candidats sont sur la ligne de départ pour cette présidentielle nigériane. En dépit de cette multiplication des candidats, est-ce qu’on se dirige vers un duel entre Bola Ahmed Tinubu du Congrès des progressistes (APC), le parti présidentiel, et Atiku Abubakar, du parti d’opposition le Parti démocratique populaire (PDP) ?
Benjamin Augé : Évidemment, il y a deux candidats qui vont attirer le plus de votes. Je pense que, pour la première fois, il y a quand même des personnalités qui se dessinent en dehors de ce duo, notamment celle de Peter Obi qui était le candidat à la vice-présidence il y a 4 ans aux côtés d’Atiku Abubakar, qui se présente comme candidat comme président directement. Et il y a aussi la personnalité de Rabiu Kwankwaso extrêmement importante parce que c’est un ancien ministre de la Défense et l’ancien gouverneur de Kano. Ce sont deux personnalités à suivre de près.
On se dirige donc vers une élection plus ouverte que les précédentes ?
Je dirais plus ouvertes et avec plus d’incertitudes. Parce que l’état sécuritaire du Nigeria n’a jamais été aussi difficile, que dans les élections précédentes, il y avait certainement des zones où il y avait des difficultés, comme par exemple la région du Nord-Ouest avec Boko Haram ou la région du delta du Niger. Mais là, le climat sécuritaire est très mauvais dans la quasi-totalité du Nigeria, en particulier dans les régions Nord, Nord-Ouest. Toute cette incertitude liée à l’insécurité, au banditisme fait que cela va être extrêmement compliqué de s’assurer qu’un nombre de gens importants vont aller se déplacer. Et il ne faut pas oublier qu’au Nigeria, les gens votent extrêmement peu. On peut à peu près imaginer que, lors des deux dernières élections en 2015 et 2019, il y avait moins de 30 millions de personnes qui se sont déplacées sur une population d’actuellement de 204 millions. Avec cette incertitude supplémentaire, on risque d’avoir très peu de votants qui vont déterminer l’issue du vote de février 2023.
Le président Muhammadu Buhari n’a pas pu se représenter après avoir effectué deux mandats. Son parti, le Congrès des progressistes (APC), a donc désigné comme candidat à sa succession Bola Ahmed Tinubu. Est-ce que le bilan de Buhari vient en soutien de la candidature de Bola Ahmed Tinubu ou est-ce qu’il représente une difficulté ?
Non. Il représente sans aucun doute une énorme difficulté. Entre 2015 et 2023, qui sera la fin des deux mandats de Muhammadu Buhari, il n'y a absolument aucun motif de satisfaction, que ce soit au niveau économique, que ce soit au niveau sécurité. N’oubliez pas que Buhari est un ancien général d’armée, il était déjà président au début des années 1980 et qu’il a été élu en 2015 justement sur des idées de : moi, je vais ramener justement la sécurité, je vais arrêter Boko Haram, je vais arrêter l’insécurité dans le delta du Niger. Et rien ne s’est matérialisé concrètement. Clairement, Bola Ahmed Tinubu ne va pas pouvoir exploiter un quelconque bilan, que ce soit économique ou sécuritaire.
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Qu’est-ce qui explique que les deux grands partis, le Parti démocratique populaire (PDP) et le Congrès des progressistes (APC), sont remis en cause à l’heure actuelle ?
Je dirais qu’il y a un désenchantement absolu de la politique et surtout, les gens en ont vraiment marre qu’aucune solution ne soit proposée. Ils considèrent d’une certaine manière que ce soit Atiku Abubakar ou Bola Ahmed Tinubu, c’est blanc bonnet et bonnet blanc. Le PDP et l’APC n’arrivant pas du tout à proposer des alternatives l’une à l’autre, il y a un désenchantement absolument profond de la part des électeurs.
Et est-ce que justement un candidat comme Peter Obi du Parti travailliste parvient à capter pour lui-même ce désenchantement ?
C’est cela qui est intéressant parce que Peter Obi est un ancien gouverneur. Il a été gouverneur d’Anambra pendant deux mandats, quelqu’un d’assez brillant qui communique assez bien. Donc, il va arriver à capter une partie de l’électorat, mais il a le problème inverse de ses deux autres candidats, c’est qu’il n’a pas de moyens. Et au Nigeria, sans moyen, c’est extrêmement difficile de véritablement peser le jour du vote. On a un phénomène actuellement, l’idée qu’il est partout, parce qu’il utilise les réseaux sociaux avec brio, contrairement aux deux autres, mais la capacité justement à s’assurer d’un nombre de votes en étant présent partout, en voyageant dans les 36 États, en ayant des moyens pour attirer les gens le jour du vote, il ne les aura pas.
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