Le grand invité Afrique

Kako Nubukpo: «Nous devrions définir l'éco comme monnaie commune aux quinze États de la Cédéao»

Publié le :

Quel pourrait être le contenu d'une « voie africaine du développement » ? C'est la question à laquelle l'économiste Kako Nubukpo essaie de répondre dans un essai qui sort tout juste en librairie. L'ouvrage s'appelle Une solution pour l'Afrique. Face à l'urgence africaine, un milliard d'individus supplémentaires à intégrer en une génération, il appelle à un nouveau modèle économique qui s'appuierait sur la protection des biens communs africains.

L'économiste togolais Kako Nubukpo.
L'économiste togolais Kako Nubukpo. © RFI
Publicité

 

RFI: Dans votre nouvel essai, vous travaillez sur ce que pourrait être la « voie africaine du développement » et vous expliquez que cette voie repose sur des « biens communs » qu’il faut protéger. Quels sont-ils ?

Kako Nubukpo : Les biens communs sont des biens dont la gestion non régulée peut conduire à leur épuisement. Et donc, ce sont des biens comme des lacs, des forêts, et au-delà même, ce sont des biens qui peuvent ne pas être tangibles, comme les biens informationnels, les biens communs numériques. Et historiquement, ce sont des biens dont on a prédit la disparition. C’est ce qu’on appelait « La Tragédie des communs » de Garrett Hardin en 1968 [« The Tragedy of the commons », article de la revue Science publié en décembre 1968, NdlR], qui disait : Quand les biens ne sont pas régulés, ils disparaissent, du fait de la prédation.

Et c’est le cas en Afrique, ils sont en train de disparaître ?

Oui. Il y a beaucoup de biens qui disparaissent en Afrique parce que vous avez un processus de déforestation très marqué. Vous avez également des pâturages qui n’existent plus, notamment du fait de la démographie forte. Et vous avez des ressources minières qui disparaissent puisque leur gestion n’est pas tout à fait régulée. Il faut les protéger.

L’un des communs qu’il faut protéger, expliquez-vous dans votre ouvrage, c’est la souveraineté alimentaire. Cette souveraineté est menacée à l’heure actuelle en Afrique ?

Oui. Parce qu’au fond, depuis 40 ans, on est parti dans une optique un peu Banque mondiale qui consistait à dire ‘vous n’êtes pas obligé de produire sur place ce que vous consommez, il vous suffit d’exporter des matières premières. Avec les devises récupérées, vous pourriez importer vos biens alimentaires’. Or, on se rend compte, avec la succession de crises qu’on vit, qu’il y a une forte volatilité des prix alimentaires. Et donc, la capacité pour l’Afrique de pouvoir nourrir sa population à un coût raisonnable, elle est de moins en moins assurée.

Puisqu’elle ne produit pas assez ce qu’elle consomme…

Exactement.

Vous alimentez également dans votre ouvrage la réflexion sur la monnaie qui peut remplacer le franc CFA en Afrique de l’Ouest. Cela fait l’objet d’un long développement dans votre essai qu’on ne va malheureusement pas pouvoir résumer ici. Lors des états généraux de l’éco, en tout cas, qui ont eu lieu à Lomé, des préalables avaient été identifiés. Est-ce que vous diriez que les pays ouest-africains avancent d’ores et déjà dans la mise en place de ces préalables ?

Non. Je crois malheureusement qu’il y a un statu quo que, moi, je qualifierai de mortifère. Ce que nous devrions faire, c’est définir d’emblée, dès maintenant, l’éco comme monnaie commune aux 15 États de la Cédéao [Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest] qui serait adossée à un panier de devises dont le dollar, l’euro, le yuan, la livre sterling. Et les monnaies existantes actuellement devraient être rattachées à cette monnaie éco via des taux de change fixes, mais ajustables. Et on définirait ainsi un corridor de fluctuations entre ces monnaies nationales et le CFA d’un côté, et cette monnaie éco de l’autre.

Un peu suivant le modèle de ce qui s’est fait lors de la construction monétaire européenne…

Exactement. Et parallèlement, il faudrait travailler sur les questions de solidarité budgétaire.

L’une des propositions importantes de votre texte, c’est la nécessité de ce que vous appelez un « néoprotectionnisme » pour l’Afrique. En quoi cela peut-il consister ?

Je trouve que l’Afrique est un continent ouvert, trop ouvert. Vous voyez qu’on a fait du désarmement tarifaire pour faire plaisir au FMI [Fonds monétaire international] et à la Banque mondiale depuis une trentaine d’années. Ce qui fait que toutes nos incitations vont vers l’importation de biens-service que nous pourrions produire nous-mêmes. Et comme en plus nous exportons dans une monnaie forte comme le franc CFA, nos balances commerciales sont structurellement déficitaires. Donc, il faudrait réfléchir à des systèmes de droits de douane qui permettent finalement aux consommateurs la neutralité entre acheter sur place les biens produits par nos producteurs locaux et des biens importés, donc produits ailleurs. On ne va pas importer du poulet de France, on ne va pas importer du lait des Pays-Bas alors que ce sont des choses que nous pourrions produire nous-mêmes sur place. Et en plus, l’empreinte carbone de ces importations est élevée. Je crois que si on ne réinvente pas une forme de protectionnisme pour l’Afrique, on ne pourra pas gérer la démographie africaine. Parce que, si on ne crée pas les emplois sur place, on va vers une instabilité systémique. Et donc le protectionnisme écologique que je propose fait partie, me semble-t-il, des solutions pour que les populations africaines puissent accéder à l’emploi chez elles.

NewsletterRecevez toute l'actualité internationale directement dans votre boite mail

Suivez toute l'actualité internationale en téléchargeant l'application RFI

Voir les autres épisodes