Père Jean-Paul Sagadou: «Benoît XVI a parlé de l'Église d'Afrique comme un poumon spirituel»
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Quel souvenir laisse Benoît XVI en Afrique, à la fois chez les chrétiens et les musulmans ? Pourquoi a-t-il abdiqué il y a 10 ans ? En ce jour des obsèques de Benoît XVI, entretien avec le religieux burkinabè Jean-Paul Sagadou, père assomptionniste et journaliste au groupe de presse catholique Bayard Afrique, à Abidjan et à Ouagadougou.
RFI : Quel bilan faites-vous du pontificat de Benoît XVI ?
Père Jean-Paul Sagadou : Alors c'est difficile de faire le bilan d'un pape et il a eu une décision audacieuse, surprenante même, de faire ce qu'aucun pape n'avait jamais osé faire depuis des siècles, renoncer à sa charge. S'il y avait trois choses à dire sur ce qui a marqué son pontificat, je dirais la foi, l'espérance et la charité.
Alors, vous dites qu'il a stupéfait le monde entier le jour de février 2013, où il a renoncé à sa charge. À l'époque, il disait que c'était pour des raisons de santé, mais il a survécu 10 ans à son abdication. Était-ce seulement pour cela ?
Alors, c'est difficile à dire. J'estime personnellement que les choses se sont passées au plus profond de sa conscience. Il a compris qu'il avait peut-être atteint un âge qui ne lui permettait plus de continuer à assumer correctement sa mission. Après, évidemment, les observateurs de ce qui peut se passer au Vatican peuvent épiloguer, comme quoi c'était difficile, qu’il y avait peut-être des mésententes à l'intérieur [du Vatican, NDLR]. Personnellement, je considère qu’il a pris une décision audacieuse, que moi je considère aujourd'hui comme quelque chose d'assez positif. Je pense que ça a été un homme défenseur de la doctrine de la foi qui n'a pas voulu se mêler à des enjeux de pouvoir, parce que, pour lui, qui dit pouvoir dit forcément, nécessairement, service.
L'un de ses grands combats, c'était la lutte contre l'esprit de mai 68 et contre le relativisme moral, n'est-ce pas l'une des raisons de son abdication de 2013 et peut-être, au contraire de ce que vous appelez l'espérance, une forme de désespoir ?
Je pense que c'est difficile de percevoir les choses de cette manière. C'est vrai, en 2005 – je crois, lors d'une homélie – il a déclaré : « Nous mettons en place une dictature du relativisme qui ne reconnaît rien comme définitif et dont les standards ultimes sont simplement l'ego et les désirs de chacun ». De ce point de vue, on peut dire qu'il s'est retrouvé en face d'un monde qui vit en contradiction avec la perception qu'il a de l’Évangile. Est-ce que cela l'a bousculé, troublé ? Est-ce que son message ne passait pas et cela l'a poussé à partir ? Moi, je ne mettrais pas forcément cette hypothèse en avant, voilà.
Alors, comme son compagnon de toujours, Jean-Paul II, Benoît XVI laisse le souvenir d'un théologien conservateur qui était intransigeant sur la question des mœurs : il défendait le célibat des prêtres, il ne voulait pas entendre parler de l'ordination des femmes. Est-ce qu'aujourd'hui, il n'apparaît pas comme un pape qui n'est plus de son temps ?
Oui, je crois que Benoît XVI se situait dans la droite ligne de la tradition de l'Église. Justement, sur l'ordination des femmes, c'est assez subtil ce qu'il disait : « Nous ne disons pas que nous ne voulons pas, mais que nous ne pouvons pas. » Et il ajoutait que le Seigneur a donné à l'Église une forme avec les 12 apôtres, puis avec les évêques et les prêtres, donc ce n’est pas nous qui avons donné cette forme à l'Église. Alors, on peut considérer que cette position-là, d'un point de vue théologique, peut rester une forme de débat à l'intérieur de l'Église, mais en tout cas, telle a été sa position.
Mais sur le célibat des prêtres, n'y a-t-il pas une grande hypocrisie, notamment en Afrique ?
Hypocrisie, je ne sais pas. Et pourquoi l'Afrique ? Par contre, on constate, avec toutes les questions que nous connaissons actuellement des abus dans l'Église, qu’il y a quand même un certain nombre de questions qui se posent, qui méritent qu’au sein de l'Église, on regarde avec beaucoup plus de clairvoyance, de vérité. L'enjeu étant vraiment le service de l'Église.
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N'y aurait-il pas moins d'abus sexuels dans l'Église catholique si les prêtres avaient le droit de se marier ?
C'est une bonne question, mais je ne sais pas qui serait capable de répondre à cette question, est-ce qu'il y aurait moins de difficultés ? Ou plus, ou moins… Je n’en sais rien (sourire).
Benoît XVI est le premier pape à s’être engagé au sein de l'Église catholique dans la lutte contre les abus sexuels et la pédocriminalité. Mais n’a-t-il pas été trop timide dans ce combat ?
C'est le reproche qu'on lui fait, en effet, mais je pense qu'il faut insister sur le fait qu'il a été le premier à s'engager auprès des victimes de violences sexuelles commises par les clercs. Il est le premier souverain pontife à consacrer un document à cette crise-là, avec la publication en 2010 d'une lettre aux catholiques d'Irlande après des révélations sur des milliers de cas. D'ailleurs, un texte au ton vif, dans lequel il dit partager leur consternation et leur sentiment de trahison.
Donc, moi, je pense que c'est un homme humble qui a d'ailleurs accepté les critiques qui étaient adressées à l'Église et qui finalement contribuaient à mettre en place de nouvelles normes pour qu’on puisse quand même – disons le mot, et je pense que lui-même l’a utilisé – nettoyer l'Église. On sait qu’en son temps, il y a eu quelque 400 prêtres qui ont quand même été renvoyés. Et puis, le pape François a poursuivi le travail.
Benoît XVI n'aimait pas voyager, mais en novembre 2011, il est allé au Bénin, notamment à Ouidah, où il a signé l'exhortation Africae Munus, l'engagement pour l'Afrique, une sorte de feuille de route de l'Église catholique pour l'Afrique. Qu'en retenez-vous ?
Alors ce n’était pas seulement au Bénin, mais il a fait aussi le Cameroun et puis l'Angola et je pense qu’au Bénin, de fait, c'était une étape importante parce qu’il y avait eu le second synode des évêques pour l'Afrique – c'était peut-être en octobre 2009 – et donc là, en arrivant au Bénin en 2011, c'est à cette occasion que le pape a remis l'exhortation synodale Africae Munus, donc l'engagement des évêques pour l'Afrique. Et puis on peut voir dans ce texte comme une sorte de charte pour la réconciliation, la justice et la paix en Afrique. En 2009, on avait aussi la mémoire de tout ce qui s'était passé, avec le génocide au Rwanda, toutes les problématiques d'ethnies, de tribus… Donc ce qui a été au cœur de ce voyage du pape, c'est quand même cette question de la réconciliation, de la justice et de la paix. Et puis il a interpellé tout le monde, à la fois les responsables d'Église, mais aussi les hommes politiques, puisqu'il a parlé de la bonne gouvernance.
Moi, je retiens deux choses : il a parlé de l'Église d'Afrique comme d'un poumon spirituel pour l'humanité, donc il y a quelque chose à en tirer, il y a de la richesse. Il a aussi appelé les gouvernants à ne pas priver les populations d'avenir, d'espérance et donc à travailler à une bonne gouvernance pour qu’enfin, ce continent-là, qui est si riche, puisse quand même apporter sa contribution au reste du monde, mais à condition qu’il y ait la paix, la fraternité, la solidarité.
Et puis il y a la grande question des rapports entre chrétiens et musulmans. L'un des moments les plus marquants du pontificat de Benoît XVI reste son discours de Ratisbonne en septembre 2006, où il a cité un empereur byzantin qui disait que la violence était intrinsèque à l'islam. Il a eu raison ou il a eu tort ?
Alors en fait, je crois qu'il a été très mal compris, mais on sait aussi qu’assez rapidement, il a été accueilli en Turquie par le président Erdogan, et il a redit son souhait de voir musulmans et chrétiens marcher côte à côte sur les chemins d'une compréhension réciproque. Donc, je pense qu’à Ratisbonne, il y a eu quiproquo, il y a eu incompréhension et peut-être que le contexte global aussi de l'époque pouvait favoriser cela et ça a créé des dégâts. Et je pense que le pape en a beaucoup souffert lui-même, parce qu'il a eu plusieurs occasions de dire que ce n'est pas ce qu'il voulait dire et qu'il a même beaucoup d'estime pour le Coran, pour lequel il éprouve le respect qui convient, pour le Livre Saint d'une grande religion comme l'islam.
C'est vrai qu'il y a eu beaucoup de violence au nom de l’islam dans l'histoire, mais n'y a-t-il pas eu aussi beaucoup de violence au nom du christianisme dans l'histoire ?
Ah, c'est évident, c'est évident.
Parce que ce discours a beaucoup choqué, notamment à la mosquée Al-Azhar du Caire, à la Grande Mosquée de Paris. Est-ce que le pape a ensuite trouvé les voies du dialogue avec ces grands docteurs de la foi musulmane ?
Oui, justement, je me rappelle, j’étais au Togo à l'époque. Là, vous évoquez un peu des grands lieux d'islam où les conséquences ont été dramatiques, mais en fait, jusque dans les petits villages, même d'Afrique, il y a eu quand même une sorte de rayonnement de ce discours qui a provoqué une sorte d'effervescence irrationnelle.
Y compris dans les communautés musulmanes d'Afrique de l'Ouest, comme au Togo ?
Oui, oui, évidemment. Moi – je me rappelle donc – moi je vivais dans une ville où il y avait 70% de musulmans. On s'est retrouvé avec des jeunes qui ne comprenaient pas forcément ce qui avait été dit. Le discours, c'est : « On a insulté l'islam, on a insulté le prophète. » Donc, ça suffisait pour sortir et crier. C'est pour ça que je trouve qu'il y a eu quiproquo. Probablement que l'intellectuel, le grand théologien que Mgr Ratzinger, devenu pape Benoît XVI, a eu un discours qui n'est pas facilement accessible pour la plupart d'entre nous et qui peut provoquer ce type d'incompréhension. Mais la question, c'est : comment s'est-il comporté par la suite ?
On sait qu'il y a eu plusieurs approches. Le fait qu’il y ait eu cette rencontre en Turquie, mais je pense qu'il y a eu d'autres occasions où le pape Benoît XVI a essayé de rendre compte de ce qu'il voulait dire, et que ce n’était pas une attaque contre l'islam. Et je pense que Benoît XVI – et bien avant lui, même Jean-Paul II – ils ont toujours, quand même, intégré la question de la raison, de la réflexion. On ne croit pas n'importe comment et sinon, on verse dans l'intolérance. Et puis, dans tout ce qu'on connaît aujourd'hui, comme fondamentalisme et tout ça… La foi doit être forcément éclairée, et je crois que c'est ça qui peut nous faire avancer ensemble.
Pour conclure, peut-on dire que Benoît XVI a été un pape incompris ?
Peut-être. J'ai eu le sentiment, depuis son décès, avec tout ce que j'ai pu lire et entendre, que de fait, les gens se disent « on pense qu'on l'avait un peu mal compris, mais on pense qu'on le comprend, peut être maintenant », et c'est souvent après la mort de certaines personnes qu'on découvre vraiment leur visage et qu’on reconnait quels ont été le poids, la force de leurs paroles, de leurs discours.
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