Le grand invité Afrique

Ribio Nzeza: «Il est important d’avoir les archives pour pouvoir raconter le passé de l‘Afrique»

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Une chaire « Les Archives au service des nations et des sociétés africaines » vient d'être créée à l’Unesco, une initiative d'échange et de coopération universitaire autour de la question des archives. Hébergé à la prestigieuse école française d'archivistes, l'école des Chartes, le projet est également porté par l'École de bibliothécaires, archivistes et documentalistes de Dakar ainsi que par l'Université Léopold Sédar Senghor à Alexandrie. À l'heure où les questions mémorielles sont devenues de vrais enjeux de société, de quel type d'archives les nations africaines ont-elles besoin ? Pour en parler, notre invité est Ribio Nzeza, le directeur du département culture de l'Université Senghor à Alexandrie. Il répond aux questions de Laurent Correau

Ribio Nzeza Bunketi Buse est le directeur du département Culture de l'Université Senghor à Alexandrie en Égypte.
Ribio Nzeza Bunketi Buse est le directeur du département Culture de l'Université Senghor à Alexandrie en Égypte. © 2if.universite-lyon.fr
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RFI : Quelle est la situation des archives de manière générale sur le continent africain à l’heure actuelle ?

Ribio Nzeza : À l’heure actuelle, les archives sont peu prises en compte. C’est-à-dire qu’il n’y a pas sur le plan politique une sensibilité forte dans le domaine des archives. Et aussi, au niveau de la population générale, il y a une faible considération des archives. Quand on entre dans un bâtiment d’archives, on peut être surpris de voir des documents qui peuvent être entassés ou peut-être certains qui jonchent encore le sol. Les conditions de conservation ne permettent pas aux documents de résister à l’épreuve du temps. Et peut-être un personnel pas suffisamment motivé, alors que c’est le lieu où est conservée la mémoire de tout un pays et qui est destiné à pouvoir guider l’action de l’État.

Quels sont les problèmes posés par cette absence de politique archivistique ?

La première chose, c’est que les États ne sont pas en posture de pouvoir bien dialoguer avec les autres États lorsqu’il s’agit de régler les questions mémorielles – il y a l’exemple de la commission mixte qui a été mise sur pied pour l’histoire entre la France et le Cameroun, ou la commission qui a été mise sur pied en République démocratique du Congo pour la restitution des documents, des restes et d’autres bien culturels avec la Belgique. Le fait que les archives ne soient pas bien conservées, bien traitées, bien classées pose problème pour qu’il y ait un dialogue sur un pied d’égalité. Ça pose un problème aussi dans le domaine de l’administration de l’État : on prend des lois et des décisions, mais il faut que ça repose sur ce qui a été décidé antérieurement : il y a des traités, des conventions qui sont signés, parfois on remarque que les États signent plusieurs accords alors que ça entre en contradiction avec les précédents accords.

On voit monter dans la jeunesse des revendications de plus en plus fortes en matière de souveraineté, de réinvestissement par les pays de leur récit historique. Quel lien est-ce qu’on peut établir entre ces revendications et les problèmes de gestion des archives dans les pays concernés ?

Il y a un problème dans l’écriture de l’histoire, parce que les acteurs du Sudn’ont pas accès à toutes les données pour raconter leur propre histoire. Donc, c’est important d’avoir ces archives. S’il n’y a pas d’accès à toutes les archives, qu’est-ce qu’il sera raconté dans les écoles, dans les institutions sur le passé de l’Afrique ? Donc il y a un travail à faire… déjà pour les archives d’aujourd’hui -pour raconter l’Histoire d’aujourd’hui dans cinquante ans- mais il faut aussi chercher à accéder aux archives d’il y a un siècle, d’il y a trois siècles. Vraiment, c’est une question d’échanges sur le plan diplomatique et bilatéral : pouvoir ressouder l’Histoire et assurer la continuité dans le récit.

Quelles sont les bonnes pratiques qui existent à l’heure actuelle sur le continent en matière de conservation d’archives ?

Il y a deux bonnes pratiques qu’on peut noter en matière d’archives. Sur le plan législatif, on peut citer le Sénégal parmi les rares États qui ont une politique, une réelle loi sur la gestion des archives et des documents administratifs : la loi 2006-19 qui évoque tous les piliers pour la conservation et la communication des archives. Et sur le plan technique, on a Arquivo nacional de Angola [les archives nationales d’Angola], un nouveau bâtiment inauguré en 2020 par le président Lourenço, qui comporte cinq étages, trente-neuf salles d’expositions, deux laboratoires pour pouvoir bâtir le développement de cet État.

En l’état actuel des choses, Ribio Nzeza, quels sont les besoins pour mettre en place des systèmes d’archives qui soient efficaces ?

Les besoins sont multiples, mais vraiment les besoins les plus importants sont en matière de formation. Il faudrait qu’il y ait des spécialistes formés sur le continent africain. Compte tenu de la situation peu enviable des archives, les formations académiques et professionnelles ne sont pas nombreuses. Deuxièmement, il y a la sensibilisation, parce que s’il n’y a pas beaucoup de personnes qui veulent se former aux archives, c’est parce que les archives sont déconsidérées dans la société. Et le troisième besoin, ce sera l’accompagnement des États dans leur processus de dématérialisation des archives. Par exemple, en Afrique du Sud, il y a un projet qui est de pouvoir numériser tout ce qui est archives multimédias liées à la lutte contre l’Apartheid, le Mayibuye project à l’université de Western Cape.

Une chaire Unesco est créée à l’école des Chartes, la prestigieuse école d’archivistes française. Cette chaire portera sur le thème « Les Archives au service des nations et des sociétés africaines » : qu’est-ce qu’elle peut apporter à la question des archives en Afrique ?

Avec la création de cette chaire, qui est constituée par l’école nationale des Chartes, l’université Senghor à Alexandrie et l'École de bibliothécaires, archivistes et documentalistes de Dakar (Ébad), on va essayer de connecter les différents acteurs qui travaillent peut-être de manière éparse. Il y a les organisations internationales qui regroupent les professionnels, on a les États qui ont des besoins mais ils ne travaillent pas forcément en connexion. Il faut aussi aider les communautés. On va essayer de connecter les différents acteurs qui ne travaillent pas forcément en connexion pour le moment.

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