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Présidentielle en Turquie: «Recep Tayyip Erdogan a beaucoup joué sur l'aspect nationaliste»

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En Turquie, après sa réélection avec 52 % des voix à la présidentielle, Recep Tayyip Erdogan reçoit de multiples messages de félicitations. L’Américain Joe Biden lui rappelle qu’ils sont alliés dans l’Otan. Le Français Emmanuel Macron lui propose de relever ensemble les défis de la mer Méditerranée et de la paix en Europe. Que va faire Erdogan ? Jean Marcou est professeur à Sciences Po Grenoble et chercheur associé à l’Institut français d’études anatoliennes d’Istanbul. Il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

Le président turc Erdogan s'exprimant devant une foule rassemblée devant le palais présidentiel à Ankara après sa victoire, le 29 mai 2023.
Le président turc Erdogan s'exprimant devant une foule rassemblée devant le palais présidentiel à Ankara après sa victoire, le 29 mai 2023. © UMIT BEKTAS / REUTERS
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RFI: Peut-on dire que le réflexe nationaliste a été plus fort que le désir de changement ?

Jean Marcou : Oui, il y a eu un réflexe nationaliste, mais ce réflexe nationaliste a été exploité par les deux candidats, qui ont essayé jusqu'au bout d'avoir les voix du troisième homme, qui avait été Sinan Oğan lors des élections au premier tour, et dont le fonds de commerce, si j'ose dire, était pour l'essentiel la question des migrations et la question des réfugiés. C’est vrai, oui, probablement Recep Tayyip Erdoğan a beaucoup joué sur cet aspect nationaliste, que ce soit sur le plan intérieur, que ce soit sur le plan international.

Bon, c'est une confirmation, c'est un petit peu ce qu'on avait noté au cours des dix dernières années, c'est-à-dire que, par certains côtés, le gouvernement de Recep Tayyip Erdoğan est beaucoup plus empreint de nationalisme que d'islamisme.

Dans son message de félicitations dimanche soir, le président américain Joe Biden a dit avoir « hâte de continuer à collaborer avec la Turquie en tant qu’alliée de l'Otan ». Est-ce que c'est une façon de demander à Tayyip Erdoğan de lever son veto à l'entrée de la Suède dans l'Otan ?

Oui, sans doute. En fait, la Turquie, l'année dernière, avait formellement accepté, lors du sommet de l'Otan, la candidature de la Finlande et de la Suède. Depuis lors, on sait qu’elle a poursuivi son blocage dans la mise en œuvre de cette décision. Elle a finalement accepté, néanmoins, de découpler les deux candidatures.

C'est vrai que c'est l'un des tests aussi des relations entre la Turquie et les Occidentaux, comme le sera d'ailleurs la question de la fourniture par les Américains d'avions F-16, pour renforcer la flotte turque, mais aussi pour l'actualiser, puisqu'une partie de la demande turque, c'est l'actualisation des F-16 qu'elle a déjà. Là aussi, il y a sans doute un test qui est sur la table.

La France et la Turquie ont d'« immenses défis » à relever ensemble, notamment « le retour de la paix en Europe et la mer Méditerranée », a déclaré le président français Emmanuel Macron dimanche soir dans son message de félicitations. Est-ce une façon de demander à Recep Tayyip Erdoğan d'être moins interventionniste dans certains dossiers méditerranéens, notamment en Libye ?

Oui, je crois que ce sont deux dossiers importants qui sont sur la table. Sur le plan de la politique étrangère turque - qui concerne justement le conflit libyen -, on sait que la France s'est positionnée, sinon en pays médiateur - peut-être de manière moins flagrante que la Turquie, et en tout cas - en pays qui a fait entendre sa différence par rapport aux positions des autres pays occidentaux, qui ont des positions très proches de celle des États-Unis.

Tant sur le conflit ukrainien que sur la situation dans l'Indopacifique - en particulier avec Taïwan, Emmanuel Macron a ainsi fait entendre sa différence par rapport aux États-Unis et à ses autres alliés occidentaux. Alors, est-ce un appel du pied à Recep Tayyip Erdoğan pour dire finalement : nous avons des choses à nous dire quant à la conception des équilibres stratégiques du monde actuel ? C'est possible.

Effectivement, l'autre dossier, c'est le dossier de la mer Égée et de la Méditerranée orientale, en particulier de la Libye où, pendant l'été 2020, la France et la Turquie avaient été sur des positions radicalement opposées. La France, finalement, a soutenu étroitement les positions de la Grèce et s'est opposée à des initiatives de la Turquie. Cela en particulier dans la question du grand jeu pétrolier et en Lybie, avec les incidents diplomatiques, dont on se souvient, qui ont été assez sévères.

Donc, est-ce une manière effectivement de calmer le jeu et de dire que finalement, après cette élection, il faut aborder les problèmes dans le cadre d'une nouvelle ère ? C'est possible.

En tout cas, c'est intéressant de voir que le président Macron, dans ses félicitations, a évoqué deux dossiers chauds de politique étrangère entre les deux pays, qui seront là aussi probablement dans les prochaines semaines sur la table.

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