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Joshua Osih: «John Fru Ndi était un grand patriote qui aimait sincèrement le Cameroun»

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Au Cameroun, l’opposant historique de Paul Biya, John Fru Ndi est décédé lundi 12 juin à 81 ans, des suites d’une longue maladie. En 1990, le chairman avait fondé le Social Democratic Front (SDF), et failli gagner la présidentielle de 1992. Entretien avec Joshua Osih, député national et premier vice-président du SDF qui a défendu les couleurs du parti à la présidentielle de 2018.

John Fru Ndi lors d'un meeting à Yaoundé au Cameroun, octobre 2011 (photo d'illustration).
John Fru Ndi lors d'un meeting à Yaoundé au Cameroun, octobre 2011 (photo d'illustration). © AP/Sunday Alamba
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Quelle est votre première réaction à la mort du chairman ?

Joshua Osih : Je perds un mentor, quelqu’un qui m’a tout appris dans la politique et qui m’a appris à aimer ce pays. Donc, naturellement, je suis très triste, je suis affligé même. Il aimait les gens, il aimait le contact, il aimait le consensus. Il disait toujours qu’en politique, « Il ne faudrait pas que ton adversaire perde la face ». Je ne me rappelle pas d’un seul jour chez lui où il y a eu moins d’une trentaine de personnes qui déjeunaient avec lui, tout le monde à Bamenda savait que sa maison était ouverte. Quand on passait autour de midi, il fallait absolument le rejoindre à table et il en faisait un cas tout particulier pour tous ceux qui ne voulaient pas le rejoindre à sa table.

C’était aussi un fermier, donc il tuait entre deux et trois vaches par semaine pour pouvoir satisfaire la demande de tous ceux qui devaient manger chez lui. Donc, c’était quelqu’un de jovial, quelqu’un d’ouvert, qui aimait le contact, qui était un grand patriote, qui aimait sincèrement le Cameroun. Il l’a d’ailleurs démontré à deux reprises. La première, c’est quand il aurait pu, après les élections de 1992, aller vers une guerre civile : tout le monde l’y poussait, y compris les cadres du SDF qui voulaient absolument, y compris les gouvernements comme celui de Sani Abacha au Nigeria, que le Cameroun bascule vers une guerre civile. Et il [John Fru Ndi] a dit : « On ne gouvernera pas le Cameroun sur le sang des Camerounais ». La deuxième fois, c’est quand la sécession armée a démarré. Ils ont voulu que le SDF soit la branche politique de cette sécession, ce qu’il avait fermement refusé. Et cela nous a valu toutes les attaques sur sa personne. Il a été enlevé deux fois par ces sécessionnistes. Et nous pensons que c’est ce qui a peut-être précipité son décès.

En 1992, John Fru Ndi arrive officiellement deuxième à la présidentielle, avec 4 points de retard sur Paul Biya. Le Social Democratic Front (SDF) crie à la fraude. Est-ce que la France de François Mitterrand a joué un rôle dans son échec à cette élection ?

Nous pensons que oui. Nous pensons que la France était un acteur essentiel pour nous pousser vers cet échec-là, je pense que l’ambassadeur de France à l’époque au Cameroun est toujours un conseiller spécial du président de la République aujourd’hui [rectificatif : l’ex-ambassadeur de France Yvon Omnes est décédé le 23 avril dernier - NDLR]. Cela démontre à merveille qu’il a fait un travail qui allait dans le sens des intérêts du président de la République [camerounaise] à ce moment-là. La France a joué un rôle qui n’était pas le sien. Donc, ça arrangeait un peu Paris de voir qu’en 1992, un anglophone n’arrive pas à la tête de l’État du Cameroun.

À partir des années 2000, beaucoup y compris dans le SDF lui ont reproché de renoncer à la conquête du pouvoir et de se contenter de la place de numéro 1 de l’opposition. Qu’en pensez-vous ?

John Fru Ndi a toujours voulu conquérir le pouvoir et c’est pour cela qu’au moment où il s’est dit qu’il n’avait plus l’âge pour cela ou qu’il n’avait plus la motivation nécessaire pour y aller, lui-même s’est mis de côté et a laissé la libre concurrence au sein de son parti et à une élection dans un congrès où les délégués ont choisi le nouveau porte-flambeau du parti. Il a même exigé de ne pas être présent au niveau du congrès pour qu’on ne dise pas qu’il a pu influencer de quelque nature que ce soit le vote.

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Depuis la montée du mouvement indépendantiste dans les deux provinces anglophones, est-ce que le SDF n’est pas coupé de la jeunesse du Nord-Ouest et du Sud-Ouest ?

Nous ne sommes pas coupés de la jeunesse du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, nous sommes coupés d’une certaine jeunesse qui croit qu’elle peut résoudre les problèmes du Cameroun à travers la violence et une lutte armée. Nous croyons fermement aux valeurs et aux vertus de la démocratie. Donc, nous sommes contre tous ceux qui prennent les armes pour pouvoir atteindre ce but et donc, fort heureusement, c’est une infime minorité.

Ce qui s’est passé, c’est que, parce que le SDF a refusé d’être la branche politique de ce mouvement sécessionniste, ceux qui utilisent des armes les ont utilisées essentiellement contre les SDF et ont tout fait pour que le SDF ne puisse pas se présenter aux élections.

À la dernière présidentielle de 2018, vous n’êtes arrivé que quatrième. Est-ce que le SDF a encore un avenir politique ?

Vous répétez la même question, parce que ce sont les mêmes causes qui donnent les mêmes effets. Quand vous avez 800 000 électeurs qui sont privés du droit de vote, et que c’est une élection où le vainqueur gagne avec 2 millions de voix, et que les 800 000 électeurs qui sont privés de droit de vote viennent essentiellement de votre fief historique, vous avez les résultats que vous avez. Donc, le jour où notre base ne sera plus intimidée, où on ne va plus brûler des maisons parce qu’on est allé voter, où on ne va plus tirer sur les femmes qui vont voter, nous sommes convaincus que cette base-là va ressortir et on aura des voix qu’on n’a pas pu avoir pendant les deux dernières élections.

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