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Mali: «Une partie des citoyens pense qu'Assimi Goïta ne sera pas candidat à la présidentielle»

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Ce dimanche 18 juin, les citoyens maliens sont appelés à dire « oui » ou « non » à la nouvelle Constitution proposée par le régime militaire issu du coup d'État de mai 2021. Ce régime est-il légitime pour changer la Constitution ? Le projet soumis au vote renforce-t-il les pouvoirs du futur président pour permettre au colonel Assimi Goïta de gouverner demain sans partage ? Entretien avec Alpha Alhadi Koïna, géopolitologue et consultant-chercheur à Bamako.

Le colonel malien Assimi Goïta, le 22 août 2020 au ministère de la Défense à Bamako, au Mali.
Le colonel malien Assimi Goïta, le 22 août 2020 au ministère de la Défense à Bamako, au Mali. AP
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RFI : Quels sont les changements majeurs qui sont introduits par ce projet constitutionnel ?

Alpha Alhadi Koïna : Alors ce projet de nouvelle Constitution rompt pratiquement l’équilibre du pouvoir entre l’exécutif et le législatif, en renforçant le pouvoir du président de la République, et en affaiblissant le pouvoir du Parlement. Il faut dire que dans ce projet de Constitution, le pouvoir du président de la République sera vraiment renforcé, parce que non seulement il détermine la politique de la nation, mais aussi il peut mettre fin aux fonctions du Premier ministre, sans que ce dernier ne lui présente une lettre de démission, comme avant. Et en plus de cela, il nomme les membres du gouvernement sans que le Premier ministre ne les lui en propose. De plus, le président de la République s’adresse directement au Parlement en congrès, sur l’état de la Nation, dans le premier trimestre de chaque année. Aussi il ordonne la mobilisation générale des citoyens, lorsque la situation sécuritaire l’exige, comme actuellement au Mali.

Alors d’un côté, les partisans du « oui » disent que ce projet de Constitution est un acte de souveraineté, mais de l’autre les partisans du « non » disent que le régime de transition n’est pas légitime pour changer de Constitution, qu’est-ce que vous en pensez ?

Aujourd’hui, on peut dire qu’en réalité la majorité de la population est pour ce régime, parce que la majorité de la population a décrié un peu les régimes de ces 30 dernières années, car ces régimes étaient corrompus. Ce qui fait qu’une partie de la population pense que, même si ce régime est arrivé au pouvoir à travers un coup d’État, il est quand même légitime, parce qu’il a la légitimité populaire.

Alors les partisans du « non » disent que cette Constitution n’empêchera pas le colonel Assimi Goïta d’être candidat l’année prochaine, et que c’est un texte taillé sur mesure pour le numéro 1 malien, en vue de sa pérennité au pouvoir.

Effectivement. Ce projet de Constitution omet un peula Constitution de 1992, et aussi la Charte de Transition de 2020 qui interdisait aux dirigeants de la Transition d’être candidats. Et c’est là que ça pourrait être problématique, dans le sens que, lors de la signature de cette charte, les gens s’étaient engagés à ne pas se présenter. Mais je pense qu’aujourd’hui, pour une bonne partie des Maliens, Assimi Goïta ne veut pas du tout durerau pouvoir, qu’il est là pour une mission de transition. Donc dire qu’il va se présenter à l’élection présidentielle, cela est un peu inimaginable pour les Maliens.

Mais on est bien d’accord que le verrou de 1992 a sauté, et que désormais les militaires issus d’un régime de transition pourront se présenter ?

Effectivement, en analysant le projet de la nouvelle Constitution, on peut se dire que le régime pourrait se présenter. Mais en fait, pour le Malien lambda, Assimi Goïta ne va pas le faire.

Est-ce que pour tenir des meetings, est-ce que pour faire campagne, les partisans du « non » ont autant de moyens et autant de libertés que les partisans du « nui » ?

Alors les partisans du « non », à ce jour, n’ont pas autant de moyens que les partisans du « oui ». Il y a implicitement les moyens de l’État qui sont mis en œuvre pour aider les partisans du « oui ». Et de leur côté, les partisans du « non » ont quand même une liberté de s’exprimer. Cela, personne ne peut le nier. Mais ils n’ont pas les moyens de l’État pour mieux s’exprimer.

Dans le camp du « non », il y a quelques ténors de la classe politique, comme l’ancien Premier ministre Modibo Sidibé, l’ancien ministre Tiébilé Dramé. Il y a plusieurs mouvements de la société civile réunis dans l’« Appel du 20 février », mais il y a aussi de nombreux chefs religieux musulmans, comme l’imam Dicko. Pourquoi ?

Ils pensent qu’il faudrait à un moment donné enlever le concept de laïcité de la Constitution. Parce que les religieux pensent que le mot laïcité pourrait être remplacé par « multiconfessionnalisme », ou « neutralité de l’État ». Mais la laïcité faisant référence pour eux à la France, elle doit être enlevée de la Constitution.

Du côté des anciens mouvements rebelles du Nord-Mali, et notamment de la Coordination des mouvements de l'Azawad (CMA), on veut empêcher le scrutin de ce dimanche, notamment dans toute la région de Kidal. Pourquoi cette position ?

En fait, la position de la CMA peut se comprendre, parce que la CMA, à un moment donné, pensait que le projet de la Constitution allait à l’encontre de l’Accord d’Alger de 2015. Donc pour eux, il fallait accorder plus de pouvoir aux élus locaux, et aussi aller vers une régionalisation ou une décentralisation poussée. Alors qu’en fait le projet de la Constitution tient à l’État unitaire, mais en réalité n’exclut pas une régionalisation poussée. Surtout que, récemment, la médiation internationale a fait des clarifications à travers ses experts pour dire que le projet de Constitution ne va pas à l’encontre de l’Accord d’Alger.

Donc vous pensez que, derrière cette position de la CMA, il y a beaucoup de malentendus entre Bamako et Kidal ?

Certainement, il y a eu beaucoup de malentendus entre Bamako et Kidal, parce qu’à un moment donné, il n’y avait pas de communication entre eux. Ce qui fait que les malentendus ont perduré, et cela a engendré le blocage.

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