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Retrait de la Minusma: «Le Mali va se rapprocher de sa situation au début de la crise en 2012»

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Depuis le 30 juin dernier, la Minusma organise son retrait, qui devra être achevé d’ici la fin de l’année, soit dans six mois. Après dix ans au Mali, le départ de la mission onusienne, exigé par les autorités maliennes de transition, pose de nombreuses questions. Des enquêtes sur les violations des droits humains dans le pays pourront-elles toujours être menées ? Sur le plan sécuritaire, comment le Mali compensera-t-il le départ des Casques bleus, présents notamment dans le Nord ? Le départ de la Minusma pourrait-il être l’occasion de troubles, comme ce fut le cas lors du retrait de la force française Barkhane ? Niagalé Bagayoko, présidente du Réseau africain pour la sécurité, revient pour RFI sur la situation malienne.

Une unité de soldats sénégalais de la Minusma inspecte le village de Gani-Do, dans le centre du Mali, le 4 juillet 2019.
Une unité de soldats sénégalais de la Minusma inspecte le village de Gani-Do, dans le centre du Mali, le 4 juillet 2019. © AFP / MARCO LONGARI
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RFI : La Minusma va disparaître, et avec elle, les enquêtes de sa division droits de l’Homme. Est-ce que les Nations unies auront d’autres manières de surveiller les violences au Mali, celles des jihadistes et celles de l’armée malienne et de ses supplétifs russes ?

Niagalé Bagayoko : Le départ de la Minusma va créer un vide en matière d’investigation des violations de droits de l’Homme et d’exactions contre les civils, mais la mission était déjà entravée de ce point de vue-là. Il reste encore aujourd’hui un expert indépendant des Nations unies en la personne d’Alioune Tine. La question qui se pose est : quel accès au terrain sera-t-il en mesure d’avoir ? Le Haut-commissariat aux droits de l’Homme aussi a une mission en la matière, mais il y a, il ne faut pas l’oublier, une procédure judiciaire lancée par les autorités maliennes contre certains des personnels onusiens qui ont contribué à la rédaction du rapport de Moura, donc il sera beaucoup plus difficile pour des acteurs internationaux, qu’ils relèvent des Nations unies ou d’organisations non-gouvernementales – comme Amnesty, comme Human Rights Watch –, d’avoir un accès au terrain.

Les Casques bleus ne peuvent plus réagir en cas d’attaque contre les civils que pendant trois mois. Après le 30 septembre, ils n’y seront plus du tout autorisés. Est-ce inquiétant ?

Malheureusement, la situation des civils est alarmante depuis un grand nombre d’années. La Minusma a réussi à sécuriser les civils dans certaines zones, et on constate d’ailleurs que c’est dans ces zones plutôt situées dans la partie septentrionale du pays qu’il y a eu un certain nombre de protestations pour déplorer la décision des autorités maliennes d’exiger son départ « sans délai ». Mais on voit ce qu’il se produit, notamment dans la région de Ménaka : avec l’État islamique, les Nations unies se sont révélées elles aussi, malheureusement comme la plupart des acteurs nationaux ou internationaux, très peu en mesure de protéger ces populations civiles.

Malgré tout, certains estiment que le départ des Casques bleus constitue un effet d’aubaine pour les groupes jihadistes, qui pourraient augmenter leurs attaques. Selon vous, c’est exagéré ou c’est à craindre ?

Bien sûr, c’est à craindre, c’est ce que l’on voit dans les zones où la mission n’était pas présente. Il est à craindre aussi des attaques contre les personnels de la Minusma. Il faut rappeler qu’il s’agit de la mission la plus meurtrière [de toutes les opérations de maintien de la paix de l’Onu – NDLR], donc d’ici le 31 décembre, il est à craindre une hausse des violences contre ces personnels-là, et à terme, contre des civils dans une situation qui va se rapprocher, malheureusement, de celle qu’on connaissait au début de la crise en 2012.

Est-ce qu’on a déjà des éléments sur le plan des autorités maliennes pour la sécurisation du Nord, où se trouvent la majorité des bases militaires onusiennes ?

Pour l’instant, les autorités maliennes font surtout état de la « montée en puissance » dont elles affirment pouvoir se prévaloir depuis l’année et demie écoulée qui, selon elles, a commencé dans le centre du Mali et qui a vocation à s’étendre sur l’ensemble du territoire. Des opérations qui se sont traduites par une certaine reconquête de certaines zones, mais si l’on prend par exemple le fameux village de Farabougou, qui avait beaucoup attiré l’attention, il semble avoir été totalement vidé [de sa population, qui a dû fuir – NDLR]. Mais, ce que l’on constate avant tout, c’est la hausse des tensions depuis le début de l’année entre les autorités et les groupes armés signataires de l’accord de paix, ce qui laisse penser que des hostilités pourraient reprendre dans un avenir relativement proche.

Lorsque l’armée malienne a récupéré les sites laissés par la force française Barkhane, il y a un an, on a connu l’épisode de Gossi : le Mali avait accusé les soldats français d’avoir laissé derrière eux un charnier, la France avait dénoncé, images à l’appui, une manipulation orchestrée par Wagner. Est-ce que le retrait de la Minusma pourrait donner lieu à ce type de séquences ?

Il ne me semble pas que les relations entre les autorités maliennes et la Minusma étaient aussi dégradées qu’elles ne l’étaient entre la France et ces mêmes autorités. Il y a d’ores et déjà, notamment dans la capitale Bamako, des mouvements très hostiles à la Minusma. À mon avis, il faut s’attendre à des manifestations célébrant le départ de la mission, mais je ne suis pas certaine que l’on atteigne le degré d’horreur de ce qu’il s’est produit à Gossi.

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