Suicide: en Afrique, «le taux de professionnels en santé mentale est l'un des plus bas au monde»
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L'Afrique subsaharienne enregistre le taux de suicide le plus élevé au monde (11 suicides pour 100 000 habitants, contre 9 sur 100 000 pour le monde). Une évaluation menée en 2019 a démontré que parmi les dix pays ayant le taux de suicide le plus élevé au monde, six sont africains, mais l’information reste méconnue car le suicide est un sujet tabou. À travers la campagne « Speak Up For Life. Parler. Consulter. Soutenir », l’Organisation mondiale de la santé en Afrique tente de toucher un public jeune et de déconstruire certaines idées reçues. La psychiatre Dr Florence Baingana, conseillère régionale de l'OMS Afrique pour la santé mentale et l'abus de substances psychoactives est l'invitée d’Amélie Tulet.

RFI : Premier stéréotype que cette campagne cherche à défaire : celui selon lequel le suicide ne serait pas un problème africain.
Dr Florence Baingana : Beaucoup de gens ne croient pas que nous avons un taux de suicide très élevé en Afrique, alors que si : le suicide existe en Afrique et c'est même assez courant. Mais le suicide est très très tabou. Si une personne se suicide, sa famille sera étiquetée comme ayant un problème. Il y a une croyance selon laquelle c'est quelque chose qu'on peut attraper. Ce n'est pas contagieux, le suicide est lié à la souffrance profonde d'un individu. Mais cette souffrance ne sera pas transmise aux membres de sa famille, à ses enfants. Je pense donc que nous devons également dissiper ce mythe.
Sur les dix pays les plus touchés sur le continent, six sont en Afrique australe, sait-on pourquoi ?
Certains des pays d'Afrique australe ont des registres pour les suicides et donc on peut faire l'hypothèse qu'ils comptabilisent mieux les personnes qui meurent par suicide. Autre hypothèse : certains pays d'Afrique de l'Ouest ont un pourcentage fort de croyants musulmans. Le taux de suicide y est officiellement très faible, mais nous ne savons pas si cela reflète la réalité ou la stigmatisation autour des suicides qui y seraient beaucoup plus dissimulés. Donc, beaucoup plus de recherches doivent être faites.
Ce que nous voudrions, c'est que les pays collectent régulièrement des données sur le suicide, mais parfois, quand quelqu'un meurt par suicide, si cela est indiqué sur le certificat de décès, les chefs religieux peuvent refuser d'enterrer cette personne. Il est donc très, très difficile de comptabiliser les suicides. C'est très difficile même pour les professionnels de la santé d'écrire « mort par suicide », à moins que les preuves ne soient vraiment accablantes...
Nous estimons que nous devons faire de notre mieux pour soulager la souffrance. Donc, si quelqu'un a un problème de santé mentale, si quelqu'un souffre tellement qu'il envisage de se suicider, nous voulons apprendre à ses proches et ses amis à voir les signes et les symptômes pour aider cette personne à obtenir de l'aide. Si quelqu'un souffre beaucoup, nous ne pouvons pas dire, « eh bien, c'est une affaire personnelle, ça le regarde ». Si quelqu'un souffre beaucoup, on fait du mieux qu'on peut pour soulager cette douleur.
La campagne de l'OMS est très colorée et très orientée réseaux sociaux, pourquoi vouloir d'abord s'adresser aux plus jeunes ?
Le plus grand nombre de suicides dans le monde concerne les jeunes de 15 à 24 ans. Mais aussi, comme vous le remarquerez dans cette campagne, il ne s'agit pas seulement de dire « n'attentez pas à votre vie » : il s'agit aussi d'apprendre comment reconnaître qu'un proche envisage de se suicider, comment remarquer qu'un ami a changé de comportement. S'il commence à faire des choses qui suggèrent qu'il a des pensées suicidaires, encouragez-le à demander de l'aide.
Mais pour trouver cette aide, y a-t-il assez de professionnels formés ?
Non, il n'y en a pas assez. L'Afrique subsaharienne compte environ 1,6 professionnel en santé mentale pour 100 000 habitants ! 1,6 pour 100 000 : c'est l'un des taux les plus bas au monde. Nous avons donc besoin de plus, beaucoup plus de psychologues cliniciens, mais nous avons aussi besoin de psychiatres, nous avons besoin d'infirmières en santé mentale.
Les gouvernements doivent investir davantage dans les activités de prévention. Une chose que les gouvernements peuvent aussi faire, c'est réglementer l'utilisation des engrais et des pesticides. Parce que les ingérer est un moyen courant de se suicider en Afrique. S'ils sont facilement disponibles, il est alors plus facile de passer à l'acte. L'autre nécessité, c'est de réglementer l'accès aux médicaments qui peuvent être utilisés en surdose pour se suicider. À l'OMS, nous avons un guide, Live Life. Nous encourageons les gouvernements à se rendre sur le site web de l'OMS et à consulter ce document et à voir ce qu'ils peuvent faire pour la prévention et réduire le taux de suicide.
► À écouter aussi : Suicide, comment mieux le prévenir
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