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Guerre au Soudan: à l'hôpital turc de Khartoum, «de très bons résultats malgré toutes les difficultés»

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Depuis près de trois mois et le début du conflit au Soudan, les habitants de Khartoum vivent au milieu des combats, dans une ville où les services essentiels sont à l'arrêt. La plupart des hôpitaux ont fermé leurs portes et certains sont occupés par les belligérants. Au sud de la capitale, l'hôpital turc est l'un des rares à être aujourd'hui fonctionnel. Chaque jour, il reçoit des dizaines de blessés de guerre, dont le personnel doit s'occuper malgré la pénurie de médicaments et les coupures d'électricité. Le docteur Mego Terzian, chef de mission de Médecins Sans Frontières (MSF) au Soudan, coordonne les activités de cet établissement. Il nous raconte ses conditions de travail extrêmement difficiles.

L'entrée de l'hôpital Bashir au sud de Khartoum, le 26 mai 2023.
L'entrée de l'hôpital Bashir au sud de Khartoum, le 26 mai 2023. © AFP
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RFI : Autour de l’hôpital dans lequel vous travaillez, il y a des combats qui éclatent chaque jour. Comment peut-il continuer à fonctionner dans ces conditions de guerre ?

Docteur Mego Terzian : Nous, on est une vingtaine de personnels de Médecins sans frontières, on vit dans l’hôpital, donc 24 heures sur 24. D’ailleurs, je suis le seul qui sort avec une petite équipe soudanaise pour savoir ce qu’il se passe dans la ville, mais les autres vivent et travaillent dans l’hôpital. Au quotidien, on reçoit quinze blessés par jour.

Mais parfois, on a des pics où l'on a un afflux massif de blessés. Par exemple, il y a dix jours, en 48 heures, 160 blessés sont arrivés à l’hôpital, et l'on a même été obligés de demander de l’aide au personnel non-médical pour contrôler la foule, pour mettre de l’ordre devant les services des urgences, pour soigner les patients qui réussissaient à arriver dans notre hôpital.

Comment ces blessés arrivent jusqu’à vous ? Par exemple, est-ce qu’il y a des ambulances qui continuent de circuler ?

Malheureusement, il n’y a pas d’ambulances qui circulent pour des raisons de sécurité souvent. Tous les véhicules, dont les ambulances, sont confisqués par les combattants. Les blessés arrivent d’une façon spontanée : souvent dans des taxis, avec des motos ou avec n’importe quel moyen, par des voisins, ou tout simplement par des citoyens qui tentent d’aider la personne qui est blessée.

Vous recevez donc des blessés de guerre, est-ce que vous traitez aussi des patients qui ont des maladies chroniques et qui ont besoin d’un traitement en continu ?

La majorité de nos patients ne sont pas des patients directement liés à la violence : des femmes enceintes et des enfants. On a souvent des nouveau-nés aussi, qui ont besoin d’oxygène. On a d’autres patients atteints d’insuffisance rénale, qui ont besoin de dialyse, et l'on essaie de trouver des solutions avec nos moyens qui sont limités quand même. L’acheminement du matériel médical et de médicaments est très difficile, l’acheminement des bouteilles d’oxygène est très difficile. On a des extracteurs d’oxygène, certes, mais souvent, on n’a pas d’électricité.

Est-ce qu’il y a eu un accord tacite entre les belligérants pour préserver l’hôpital du conflit ?

Il y a un accord entre les deux belligérants, comme quoi l’espace humanitaire doit être respecté. En tout cas, pour Médecins sans frontières, on n’a pas eu de problèmes majeurs dans l’enceinte de l’hôpital. En revanche, on a des informations comme quoi certains hôpitaux sont bombardés, à Omdurman par exemple, dans l’hôpital saoudien, un médecin avait été assassiné.

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En tant que médecin, soigner dans l’urgence, au milieu d’un conflit, ce doit être une expérience très particulière. Comment vous le vivez ?

Personnellement, je le vis bien. Malheureusement, j’ai été dans des situations similaires dans plusieurs pays comme la Somalie, la Syrie ou le Yémen. Mais en revanche, la majorité des collègues qui travaillent avec moi, c’est leur première expérience en situation de guerre, mais je peux dire qu’ils arrivent à tenir le coup. Souvent, plusieurs médecins passent des nuits sans dormir. Tout est très compliqué, mais bizarrement, tous les jours, les collègues, avec moi, arrivent à trouver des solutions pour faire tourner l’hôpital. Miraculeusement, les résultats sont très bien, malgré toutes les difficultés, une mortalité très faible pour l’instant. Jusqu’à quand, je l’ignore.

Au-delà de l’hôpital, après presque trois mois de conflit, quelle est l’atmosphère dans la capitale ? Que vous disent les habitants que vous rencontrez à Khartoum ?

C’est l'effondrement total. Rien ne marche dans la ville de Khartoum. Nous, on est dans la partie sud, il y a une certaine vie qui est en cours, plus ou moins normale, avec une population assez importante, à peu près 200 000 personnes qui sont restées dans la zone. Hier, on a été avec une équipe pour acheminer des médicaments, et on n’a rencontré aucune personne civile dans les rues, tout était déserté, il n’y avait que des combattants qui circulaient dans les rues. Donc pour moi, la majorité des populations avec qui je discute sont convaincues que cette guerre malheureusement, à Khartoum et dans le pays en général, va durer encore longtemps. Et ils sont très déçus de l’indifférence de la communauté internationale sur tout ce qui se passe dans leur pays.

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