Centrafrique: «L'opposition n'a jamais été aussi affaiblie depuis que Touadéra est au pouvoir»
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Quel bilan peut-on faire du référendum constitutionnel du 30 juillet en Centrafrique ? Quelles conséquences pour le pouvoir de Faustin Archange Touadéra et pour l’opposition ? Quelle est l’attitude de la communauté internationale vis-à-vis de ce scrutin ? Pour en parler, l’invité Afrique est Charles Bouessel. Chercheur et spécialiste de la Centrafrique à l’International Crisis Group (ICG), il répond aux questions de Claire Fages.

RFI : Charles Bouessel, il y a deux semaines, en Centrafrique, le référendum constitutionnel donnant au président des pouvoirs étendus et la possibilité de se représenter sans limites, l’a emporté à 95%. La participation, c’était le vrai test, était de 61%, selon l’Autorité nationale des élections (ANE). Que vous inspirent ces chiffres ?
Charles Bouessel : Ces chiffres posent question, eu égard aux observations qu’on a pu avoir sur le terrain : des témoignages qui évoquaient des bureaux de vote souvent vides ou très peu pratiqués, et un référendum qui ne semblait pas intéresser outre mesure la population, en-dehors des cercles de pouvoir. Dans les provinces, notamment autour de Bria et de Bambari, plusieurs témoignages évoquent des bureaux de vote quasiment désertés. Et donc, là encore, on peut se poser des questions sur l’importance du taux de participation annoncé par l’ANE.
La journée électorale s’est déroulée sans incidents sécuritaires majeurs. Peut-on y voir un succès des autorités dans ce domaine ?
Oui, on peut y voir un succès. Depuis la contre-offensive lancée par le gouvernement et Wagner, en 2021, les groupes armés ont été durablement affaiblis, ils sont aujourd’hui très divisés, et le fait qu’ils ne soient pas parvenus à perturber le scrutin montre, ou illustre, leur faiblesse actuelle.
Le président du pays, Faustin-Archange Touadéra, disposera de pouvoirs étendus. Est-ce que la voie d’un troisième mandat en 2025 est déjà libre pour lui ?
Même si, pour l’instant, il n’a pas annoncé sa volonté de se représenter, rien n’indique qu’il ne tentera pas de briguer un troisième scrutin. Plusieurs dispositions d’ailleurs de ce référendum constitutionnel, l’affaiblissement du poste de président de l’Assemblée nationale, on pense aussi aux dispositions permettant, avec la nouvelle Constitution, au président et au président de l’Assemblée nationale, de nommer davantage de membres de la Cour constitutionnelle. Plus rien ne pourrait l’empêcher aujourd’hui de se représenter.
Faustin-Archange Touadéra doit nommer un vice-président. Qui va-t-il choisir, selon vous ?
Plusieurs noms ont circulé parmi les favoris. D’abord, Évariste Ngamana, qui fait partie de la famille du président et qui a dirigé le comité de la campagne du MCU [Mouvement Cœurs unis, le parti présidentiel, NDLR], donc en faveur du « Oui ». On a aussi évoqué le nom de Simplice Mathieu Sarandji, un des fidèles et des vieux compagnons de route du président Touadéra, qui a exprimé tout au début de l’annonce de ce référendum constitutionnel quelques réserves, peut-être parce qu’il ambitionnait lui-même de briguer le fauteuil présidentiel un jour, et qui pourrait recevoir ce poste en dédommagement de cet espoir déçu.
L’opposition a contesté les résultats du référendum. Quelle est sa marge de manœuvre désormais ?
L’opposition n’a peut-être jamais été aussi affaiblie depuis que le président Touadéra est au pouvoir. Elle est profondément divisée. Une certaine frange de l’opposition a même appelé à prendre les armes contre le président, notamment Ferdinand Nguendet. D’autres souhaitent rester dans le champ démocratique mais ont très peu d’espace et de voix pour s’exprimer. Cette opposition, d’ailleurs, ne se faisait pas vraiment d’illusion sur la victoire du « Oui » au scrutin et avait décidé de porter le jeu plutôt sur la participation, en appelant les électeurs à boycotter ce scrutin. Est-ce que cette stratégie a fonctionné ? Peut-être sur le terrain. Mais, en tout cas, ça ne s’illustre pas dans les résultats présentés par l’ANE.
Que pensez-vous du quasi-silence international autour de ce vote ?
Ce silence international, il est le fruit d’un changement de stratégie, notamment de la France et des États-Unis, qui ont décidé de prioriser leurs objectifs sur la Centrafrique, leur objectif principal étant d’affaiblir l’influence de Wagner dans le pays. On peut trouver ça également naïf puisqu’en renforçant le pouvoir de Touadéra, ce référendum est aussi un gage pour Wagner de rester dans le pays, puisqu’ils dépendent des accords signés avec le président Touadéra.
À votre connaissance, le fonctionnement du groupe russe a-t-il évolué en Centrafrique depuis la rébellion de son chef, Evgueni Prigojine, contre Moscou ?
On a vu quelques mouvements dans les jours qui ont suivi la rébellion, avec des rotations de troupes qui pouvaient paraître inhabituelles, mais depuis, le fonctionnement n’a pas changé, et on a vu un retour à la normale. Le groupe Wagner a participé à la sécurisation et à l’organisation du scrutin sans perturbations. En Centrafrique, les actifs du groupe sont toujours aux mains d’Evgueni Prigojine, et pour l’instant, c’est business as usual.
Est-ce qu’on peut dire que Wagner est en train de transformer la Centrafrique en hub militaire, en particulier pour approvisionner les troupes du général Hemedti, chef des paramilitaires, au Soudan ?
On parle de livraisons à petite échelle, c’est-à-dire des livraisons de munitions, d’armes, mais pas des volumes significatifs. On a également entendu des témoignages plus récemment sur le fait que le général Haftar en Libye ferait désormais transiter les armes pour Hemedti via la Centrafrique pour plus de discrétion. Mais pour l’instant, ce soutien ne parait pas en mesure de changer le cours du conflit.
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