Élections au Gabon: «Les problèmes d'égo de l'opposition vont ouvrir un boulevard» pour Ali Bongo
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Au Gabon, les élections approchent à grand pas. Le 26 août, le pays organisera pour la première fois des élections présidentielle, législatives et locales en même temps. Le président Bongo est candidat à sa propre succession. Face à lui, l'opposition est toujours en négociation pour trouver un candidat unique. Ce vote est très attendu : la période électorale n'a pas échappé aux polémiques et certains repensent aux élections de 2016 contestées qui avaient entraîné de graves violences. Télesphore Ondo, professeur de droit public à l'université Omar Bongo, revient sur ces élections pour RFI.

RFI : Télesphore Ondo, l’opposition a-t-elle une chance face au président Bongo, selon vous ?
Télesphore Ondo : Il n’y a jamais de certitudes, mais je crois que l’opposition a naturellement toutes ses chances. Déjà, parce que l’opposition n’a pas un bilan à défendre. Ensuite, parce qu’il y a quand même une certaine soif de changements, surtout que nous sommes à la veille du troisième mandat, en quelque sorte, du président Ali Bongo. Je ne pense pas que ce soit forcément un problème d’usure, mais c’est peut-être un problème d’attentes déçues, parce que lorsque le président Ali Bongo arrive au pouvoir en 2009, il y a quand même un espoir extrêmement important pour les populations de voir les choses évoluer, le pays être transformé. Mais malheureusement, il y a eu beaucoup de difficultés par rapport à leurs attentes. Aujourd’hui, la vie est extrêmement chère au Gabon, il y a beaucoup de problèmes au niveau des routes, de l’électricité, les problèmes du système de santé, alors au bout de quatorze ans, peut-être que les populations se disent qu’il faut passer à autre chose.
La santé du président Bongo peut-elle le pénaliser politiquement selon vous ?
Ce problème de santé ne joue plus « à plein régime ». Le président a quand même montré qu’il était en mesure de pouvoir faire campagne, il a fait le tour des différentes provinces, il y a quelques semaines en arrière, et là, il a repris, ce qui montre qu’il a quand même une certaine capacité physique, intellectuelle, qui lui permet de pouvoir tenir.
Est-ce que l’opposition pourrait payer le fait d’avoir des membres qui sont pour la plupart des anciens du PDG [le parti au pouvoir]? Est-ce qu’elle ne va pas avoir un problème pour incarner l’alternance et le changement ?
Je ne pense pas à ce niveau, d’autant plus que si nous revenons en 2016, nous avions donc le candidat Jean Ping, qui était un ancien du PDG. Le poids du passé n’a plus, à mon avis, à influencer le choix des candidats par rapport à la situation d’aujourd’hui. Les populations veulent un changement, ce changement-là peut être incarné par un ancien du parti unique.
Des réformes électorales récentes, avec l’instauration d’un bulletin unique permettant un double-vote présidentielle - législatives, la limitation du nombre de représentants dans les bureaux de vote, tout cela est critiqué par l’opposition. Elle parle de mesures anticonstitutionnelles qui avantageraient le pouvoir. Qu’en pensez-vous ?
La première difficulté, c’est que ces mesures ont été prises bien après la date limite de dépôt des candidatures et ça va créer quelques difficultés en termes de pédagogie, pour essayer d’expliquer aux populations les différentes réformes - des réformes à mon avis inopportunes, qui ont été engagées au mauvais moment -, mais aussi la complexité du système. Le bulletin unique cause des difficultés, ce système de coupler l’élection présidentielle avec les élections législatives crée une deuxième complexité. Alors, de manière pratique, sur le terrain, ça va être extrêmement compliqué.
L’opposition se cherche un candidat unique, et si elle en trouve un, sa campagne sera plus courte, finalement. Est-ce que ça peut la pénaliser ?
L’opposition a cette difficulté de prendre des décisions au bon moment. La campagne électorale a commencé, jusqu’à ce jour, l’opposition n’arrive toujours pas à trouver de candidat unique. Mais en réalité, la difficulté est due au fait qu’en choisissant un candidat unique, les partis politiques qui souhaitent présenter des candidats aux autres élections risquent d’être pénalisés avec le système que je viens d’expliquer, le système du bulletin unique. C’est pour cette raison qu’il faudrait prendre des décisions en amont, pour permettre à ce que la dynamique d’unité puisse permettre à l’opposition de pouvoir éventuellement remporter les élections. Mais on voit bien qu’il y a beaucoup de tergiversations. En tardant davantage, le candidat sortant qui est actuellement sur le terrain est en train de faire un travail extrêmement important, et ça risque de pénaliser sérieusement l’opposition.
Est-ce que cette opposition pourrait être aussi pénalisée par ses divisions internes ?
Oui, le problème d’ego au niveau de ces oppositions, ces problèmes d’ego qui vont persister vont ouvrir un boulevard pour le candidat du PDG, à coup sûr.
Certains parlent d’un risque de nouvelles violences électorales, est-ce que vous partagez ces craintes ?
Je ne partage pas entièrement ces craintes. En 2016, assez rapidement, l’opposition a retrouvé son unité et avait un candidat unique. Nous constatons également qu’il y a un travail de fonds qui a été fait sur le terrain, non seulement par la société civile mais aussi par les communautés religieuses etc., qui ont travaillé dans le sens de l’apaisement. N’oublions pas aussi la concertation politique qu’il y a eue en début d’année, même si certains de l’opposition ont commencé à dénoncer les conclusions de cette concertation. Donc il y a quand même beaucoup de choses qui ont été faites. Le problème des risques de troubles se pose toujours à l’annonce des résultats, et c’est là que les organes, qui sont appelés non seulement à organiser mais aussi à annoncer, à proclamer les résultats, doivent jouer leur rôle. Tant que les choses sont respectées et que la régularité des élections a été opérée par les organes dans le respect des principes d’indépendance et d’impartialité, il n’y a pas de souci à cela.
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