Le grand invité Afrique

Migrations: «Analyser les causes profondes dans les pays de départ au lieu du tout sécuritaire»

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Alors que l'île italienne de Lampedusa fait face à un afflux  record de migrants ces derniers jours, le débat sur la politique migratoire de l'Union européenne refait surface. Au Sénégal, plusieurs drames, plusieurs naufrages, se sont produits au large des côtes ces dernières semaines où des embarcations tentent de rejoindre l'Europe via les Canaries et où plus de 70 embarcations ont accosté depuis le début de l’été. L'UE veut aider les pays de départ à lutter contre cette émigration clandestine. Mamadou Mignane Diouf, coordonnateur du Forum social sénégalais et de la Plateforme Migration, développement, liberté de circulation et droit d'asile, est notre invité.

Mamadou Mignane Diouf, coordonnateur du Forum social sénégalais et de la Plateforme Migration, développement, liberté de circulation et droit d'asile.
Mamadou Mignane Diouf, coordonnateur du Forum social sénégalais et de la Plateforme Migration, développement, liberté de circulation et droit d'asile. © RFI/Carine Frenk
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RFI : Quand vous voyez les images de Lampedusa et de tous ces drames en mer, qu'avez-vous envie de dire ?

Mamadou Mignane Diouf : Je sentais - comme beaucoup de personnes d'ailleurs - une détresse en moi, un malaise moral de constater, malgré tous les discours ici et là, que nous n’arrivons pas encore à trouver une réponse, une solution. Je crois qu’il y a comme une sorte d'abandon de ces personnes par les autorités africaines particulièrement, et c’est inquiétant et frustrant. Pour le Sénégal, les chiffres aussi sont importants : il y a 3 mois, dans un bateau, il y avait 160 personnes, et nous n’en avons sauvé qu'une vingtaine... et nous continuons à faire des recensements.

Le Sénégal agit : plus de contrôle et de surveillance du littoral, des mesures répressives contre les convoyeurs. Que pensez-vous de cette politique ?

Je crois que le Sénégal était aussi en discussion très avancée avec le Frontex, cette force de sécurité et de contrôle maritime que l’Union européenne a installé, qui a doté, semble-t-il, au Sénégal de quelques moyens : des bateaux de contrôle, des hélicoptères, accompagnés d'une présence de policiers d’Espagne. Malgré tout ce dispositif, on constate néanmoins que pratiquement tous les week-ends – les départs sont souvent le vendredi, samedi et dimanche - des pirogues partent. Il faut donc vraiment analyser pourquoi les départs continuent à se faire.

Et ce dispositif, ça vous choque ? Un éventuel accord avec Frontex… Le président Macky Sall a finalement renoncé, mais les négociations ne sont pas closes.

Oui, ça nous inquiète un peu parce qu'on a tout le temps dit à l'Union européenne, dans les réunions et les rencontres que nous avons avec les parlementaires européens à Bruxelles, nous leur disions que le tout sécuritaire n'était pas la bonne option. Il ne s'agissait pas de débloquer et de déployer tout un arsenal militaire et policier pour régler le problème. Il faut aussi analyser les causes profondes dans les pays de départ. À notre avis, il faut d’abord que l'Afrique, en elle-même, se parle. D'ailleurs, c'est là que nous avions proposé que le Sénégal, qui est un grand pays de départ à partir de ses côtes, puisse abriter une conférence afro-africaine et se sortir de cette réunion-là, avec un agenda qui permettrait - pourquoi pas - de discuter aussi avec l'agenda européen.

On parle toujours de développement local pour fixer des jeunes dans les pays, mais des sommes considérables ont déjà été investies au Sénégal, sans aucun effet.

Oui, je crois qu'il y a des fonds fiduciaires assez importants qui ont été débloqués, dépensés par l'Union européenne avec certains pays comme le Sénégal, mais là aussi la remarque qu'on a souvent faite à nos autorités, c'est de dire : est-ce que le modèle et les mécanismes de financement et d’accompagnement ont été bien adéquat et en rapport avec les jeunes ? Je me suis rendu un jour à Agadez (Niger), où j'ai rencontré des jeunes qui, par exemple, venaient d'une région de la Casamance naturelle et qui avaient bénéficié de ces fonds là, mais qui, malgré tout, ont décidé en jour de tenter de rentrer en Libye.

Est-ce que ce thème de la migration va s'inviter dans la campagne électorale en vue de la présidentielle de février prochain selon vous ?

Ah oui, oui. Aucun candidat ne pourrait échapper au débat sur la question migratoire. On ne peut pas, aujourd'hui, avoir une planification de développement des populations sans aborder la migration, les questions de droit d’asile et de liberté de circulation. D'ailleurs, nous sommes en train de mettre en place un petit cadre citoyen d'interpellation des candidats, avec un focus particulier : s’ils arrivaient au pouvoir après les élections, comment comptent-ils régler la question migratoire ? L'échec de nos États a été la gestion de la migration et de la problématique des jeunes. Si on continue les mêmes formules, les mêmes façons de faire... À partir de ce moment, ils pensent que dès l'instant qu'on est exclu du système et du partage des biens et des services, la seule alternative qui s'offre à nous, c'est d'aller voir ailleurs ! Et c'est là que s'installent les risques de voyage dans des conditions abominables que vous savez.

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