Mirjana Spoljaric (CICR): «Dans tout le Sahel, il y a des besoins humanitaires qui sont énormes»
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La présidente du Comité international de la Croix-Rouge, Mirjana Spoljaric, a profité de l’Assemblée générale de l’ONU pour rencontrer des chefs d’États africains, et pour plaider la cause des plus démunis, ceux pris au piège de crises humanitaires en Afrique. Dans un contexte où les conflits armés ont triplé depuis vingt ans, le financement des opérations humanitaires est de plus en plus compliqué : en cinq ans, il a été divisé par huit. Mirjana Spoljaric est au micro de notre correspondante à New York, Carrie Nooten.

En Libye à Derna, on parle de centaines de familles entièrement décimées et de corps que l’on n’arrive plus à reconnaître. Quelles sont les principales urgences ?
Mirjana Spoljaric : La situation à Derna est une grande tragédie. Nous avions une petite équipe sur place quand les événements se sont produits et nous venons d’envoyer du renfort. Nous allons également apporter de l’aide aux hôpitaux. Nous sommes déjà en train de le faire et très prochainement, nous allons aussi ajouter du matériel et inclure dans nos envois de la nourriture qui est aujourd’hui une nécessité pour des populations qui se retrouvent sans rien. Nous travaillons étroitement avec la société nationale du Croissant-Rouge. C’est par leur intermédiaire que nous sommes en capacité d’atteindre rapidement les personnes affectées.
Au Sahel, cette année marquera le retrait des casques bleus de la Minusma. Quel impact cela va-t-il avoir sur le quotidien de vos travailleurs humanitaires ?
On est au Mali depuis des décennies. On a la confiance de tous les groupes armés. On est en capacité de livrer de l’assistance. C’est un grand programme. On est présent dans le nord du pays, dans des régions où personne d’autre ne peut accéder à la population. Nous espérons que nos donateurs continueront à soutenir le CICR dans cette région car, dans tout le Sahel, vous avez des besoins humanitaires qui sont énormes et qui ne cessent de s’accroître à cause du changement climatique et de la croissance de la pauvreté.
Ici à New York, vous êtes aussi venue plaider la cause du Soudan. Ce pays compte désormais le plus grand nombre de déplacés internes au monde. Quels sont les défis les plus importants rencontrés sur le terrain et comment comptez-vous les relever ?
Effectivement, la situation au Soudan, mais aussi dans les pays voisins qui accueillent un très grand nombre de réfugiés et de déplacés nous pose de grands soucis. Nous avons une présence près de Khartoum. Nous sommes restés dans le pays depuis le début de ce conflit en maintenant notre assistance aux services médicaux parce qu’ils ont été réduits de 80% à cause de la violence armée. Mais nous avons toujours des problèmes en ce qui concerne l’accès à la population et aux centres médicaux. Donc, nous demandons à ce que les partis se mettent d’accord sur un cessez-le-feu qui nous permettrait d’apporter plus d’aide.
Nous savons que les gens ont besoin de l’aide humanitaire, surtout les femmes, surtout les enfants. Nous aimerions le plus vite possible revenir au Darfour. Nous avons dû sortir pour des raisons de sécurité. Mais on veut revenir très vite pour apporter une aide à ces populations. Nous avons aussi un rôle d’intermédiaire neutre et on a vu que c’était efficace. Nous allons faciliter la participation des représentants des groupes armés aux pourparlers pour un cessez-le-feu. Nous restons à disposition parce que nous parlons toujours, à tout moment, à tous les groupes armés. C’est aussi nécessaire pour avoir cet accès local à la population.
Nous avons aussi, la semaine passée, en autres, pu faciliter la libération de 30 mineurs qui étaient en détention. Donc au total, nous avons facilité la libération de près de 200 personnes qui maintenant peuvent être réunies avec leur famille.
Et pendant ce temps-là, le monde entier oublie le Tigré ?
Au contraire, pour nous, ça reste une priorité. Je me suis aussi entretenue avec les représentants à un haut niveau du gouvernement éthiopien. Nous sommes toujours très concernés par la situation humanitaire au Tigré. Mais aussi dans les autres régions comme l’Amhara ou l’Oromia où nous sommes présents en tant que CICR. Et nous demandons constamment à nos donateurs de ne pas oublier la situation en Éthiopie et de nous aider à financer nos programmes. Tous nos programmes en Afrique sont largement sous-financés.
Effectivement, on constate même ici à l’ONU une baisse notable des dons pour les opérations humanitaires. À quoi cela est-il dû et comment agir pour renverser la tendance ?
Les conflits armés ont triplé par rapport à il y a 20 ans et évidemment, cela nécessite plus de financements. Si vous regardez nos programmes en Afrique, le niveau de sous-financement a été multiplié par 8 ces cinq dernières années. Ce que nous étions capables de faire au Darfour en 2003 n’a plus à voir avec le niveau d’assistance que nous pouvons apporter aujourd’hui à cette population. Cela nous frustre énormément. Nous savons également que selon les projections le niveau de l’aide humanitaire ne va croître ces prochaines années. Donc, il va falloir que notre organisation fasse des choix et sans doute réduise ses coûts de fonctionnement.
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