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Excision en Guinée: «Le plus grand travail reste à faire au niveau de la sensibilisation»

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Engagée contre l’excision et les mariages précoces depuis dix ans, Hadja Idrissa Ba milite pour son avenir et celui de ses sœurs, qu’elle veut voir échapper à l’excision. Une pratique encore très répandue en Guinée, malgré une loi contre son application. Ba elle-même a été excisée à l’âge de dix ans lors de prétendues « vacances ». Sa renommée lui vaut d’être sélectionnée pour des prix et d’être invitée à de grandes conférences internationales où elle continue à marteler son message. Elle a participé au Forum mondial Normandie pour la paix, et a répondu à Christina Okello en marge de ce rassemblement.

Hadja Idrissa Bah, militante guinéenne des droits des femmes,  lors de la 2ème édition du women’s meeting day.
Hadja Idrissa Bah, militante guinéenne des droits des femmes, lors de la 2ème édition du women’s meeting day. © commons wikimedia.org
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RFI : Vous menez ce combat en faveur des droits des femmes en Guinée depuis dix ans, est-ce que vous avez constaté un changement, ou au contraire, est-ce que le poids de la tradition est toujours aussi fort ?

Hadja Idrissa Ba : Aujourd’hui, la tradition continue de peser sur nos parents. La pression est structurelle, et malheureusement, les pratiques continuent de prendre de l’ampleur. Et même s’il y a une petite prise de conscience de certains – mais qui n’osent pas l’avouer –, le plus grand travail reste à faire au niveau de la sensibilisation de la nouvelle génération, parce que c’est là qu’est le risque. Si nos parents n’ont pas réussi à accepter le message que nous sommes en train de faire passer, notre espoir se porte sur cette jeunesse que nous sommes, parce que si nous on comprend, c’est sûr que nos prochains enfants seront protégés.

Justement, sur la question de la sensibilisation, en 2016, vous avez créé le Club des jeunes filles leaders de Guinée, pour prévenir notamment les mariages précoces. Avez-vous enregistré des cas de réussite ?

Bien évidemment, la création du Club de jeunes filles a créé de belles avancées du côté du respect du droit des jeunes filles. Du côté des filles, elles-mêmes ont pris conscience et elles ont compris qu’elles ont des droits et qu’elles peuvent aussi se réveiller et réclamer leurs droits. Donc je dirais que le succès, grâce au Club des jeunes filles que j’ai mis en place (au début, on était cinq, aujourd’hui on peut compter plus de 500 [membres] sur tout le territoire national), c’est un gros changement dans nos communautés grâce juste à l’existence de ce militantisme des jeunes filles. Et de l’autre côté, c’est aussi et surtout [une victoire pour] les filles que nous avons réussi à sauver dans les villages. On a arrêté des cas de mariages précoces et forcés, et cela a été un véritable succès pour nous.

Que reste-t-il à faire ? Vous avez dit par le passé que la justice guinéenne est malade. Sur quels leviers faut-il appuyer pour améliorer la protection des jeunes filles ?

Le problème, c’est que nous sommes en train de réclamer justice, de lui demander de faire son travail, et jusqu’à aujourd’hui, je pense que tel n’est pas le cas. C’est le véritable frein au combat. Et lorsqu’on a demandé aux gouvernements – précédent et celui d’aujourd’hui – de faire du droit des femmes et des jeunes filles une priorité de leur agenda, malheureusement, on remarque qu’en fait les priorités ce sont les questions économiques et politiques, alors que les causes des personnes les plus vulnérables, que sont les enfants et les femmes, sont mises de côté. Et je continue toujours de plaider auprès de ces autorités pour en faire leur priorité, parce que jusque-là, tel n’est pas le cas.

En effet, en 2018, vous avez interpellé l’ancien président guinéen Alpha Condé sur la situation alarmante des jeunes filles en Guinée. Est-ce que les nouvelles autorités vous écoutent davantage sur ces questions-là ?

Nous, on s’attendait à beaucoup mieux, mais malheureusement, tel n’est pas le cas. C’est toujours les mêmes réalités, même s’ils disent faire des efforts, mais désolés les efforts ne se font qu’à l’occasion des journées internationales... On n’a pas besoin de ça. Mettez-nous où il faut et accordez-nous la justice dont on a besoin. C’est tout ce qu’on demande. Si ces autorités m’écoutent et m’entendent, je plaide encore davantage pour faire en sorte que cette justice soit une boussole, pour nous aussi, parce qu’on en a besoin. Si les femmes sont heureuses, je pense qu’ils n’auront pas besoin de faire de campagnes et autres, ce sera automatique, mais lorsque nous on est mises de côté, on n’est pas considérées, je vous assure que les enfants et les jeunes ne seront pas contents d’eux. 

Dans le cadre de votre militantisme, vous subissez souvent des critiques : on vous appelle la fille au foulard, briseuse de mariages, on vous critique, on vous attaque, pourquoi vous continuez ce combat ?

Je continue ce combat malgré les critiques parce que je crois à ce que je fais. Depuis plusieurs années, depuis que j’ai douze ans, je suis dans ce combat. Et aujourd’hui, je ne m’arrête pas, parce que tout simplement, je me dis que c’est une mission que nous avons. Et si je réussis à aller jusqu’au bout de ce combat, ceux qui me critiquent n’auront pas raison de moi, donc si j’abandonne, c’est qu’ils auront eu raison, et ils « sauront » que nous les femmes, comme ils le disent, on est « faibles », alors que tel n’est pas le cas. On croit à la véracité de ce qu’on est en train de faire. Il n’y a aucune autre option qui pourrait nous empêcher d’aller jusqu’au bout.

Et quelles sont vos ambitions, Hadja Idrissa Ba ? Vous avez fait des études en sciences politiques, en droit et en communication. Jusqu’où voulez-vous aller ?

Moi, mon objectif, c’est de montrer au monde aujourd’hui que cette jeune fille qui est née, qui a grandi dans une famille illettrée, peut aussi avoir sa place autour de la table et participer à toutes les prises de décision qui concernent le développement du pays, que ce soit dans mon pays ou encore dans d’autres pays, j’ai aussi mon mot à dire. Et l’objectif, aujourd’hui, c’est de pouvoir avoir les compétences qu’il faut afin de mieux faire mon combat, que ce soit à l’international ou en Guinée, et occuper de grands postes.

Un grand poste, comme celui de présidente de la Guinée ?

Cela n’est pas exclu, parce que les femmes, aussi, ont le droit d’être au poste présidentiel. Pourquoi ? Parce que c’est important que nous soyons là pour prendre des décisions. S’il faut voter des lois, qu’on vote les bonnes lois. C’est bien possible, je ne dis pas uniquement moi, mais c’est possible qu’il y ait une femme qui présidera la Guinée et je la soutiendrai. Et si c’est moi aussi, ce sera parfait (rires).

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