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Guerre Israël-Hamas: les dirigeants africains «ne veulent pas effaroucher leur propre opinion publique»

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Depuis l'assaut du Hamas contre Israël, samedi dernier, les réactions sont très contrastées sur le continent africain. Les uns soutiennent l'État hébreu, les autres défendent avant tout la cause palestinienne. Est-ce à dire que l'Afrique est coupée en deux ? Pas si simple, répond le chercheur sénégalais Pape Ibrahima Kane, qui est spécialiste des questions régionales en Afrique et qui est l'un des responsables de la Raddho, la Rencontre africaine pour la défense des droits de l'Homme. En ligne de Dakar, il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

Vue de la ville de Jabalia, dans la bande de Gaza, touchée par un raid aérien israélien, le 11 octobre 2023.
Vue de la ville de Jabalia, dans la bande de Gaza, touchée par un raid aérien israélien, le 11 octobre 2023. © Hatem Moussa / AP
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RFI : Depuis samedi dernier, le Congo-Kinshasa, le Kenya, le Togo affichent leur soutien à Israël, tandis que l’Algérie, la Tunisie, l’Afrique du Sud dénoncent l’occupation illégale de la Palestine comme cause de tous les malheurs qui arrivent en ce moment. Peut-on dire que jamais l’Afrique n’a été aussi divisée sur la question israélo-palestinienne ?  

Pape Ibrahima Kane : Pas tout à fait, parce que, quand vous jetez un coup d’œil sur ceux qui ont vraiment montré leur soutien à Israël, cela ne fait pas plus de six ou sept pays. Ce qui caractérise le continent dans cette affaire, c’est le silence de la grande majorité des États, et pour moi, ce silence est simplement lié au fait que ces dirigeants ne veulent pas effaroucher leur propre opinion publique, surtout lorsqu’il s’agit de la Palestine, des relations entre la Palestine et Israël.  

Et l’un des pays qui affiche le plus fortement son soutien à la cause palestinienne, c’est l’Afrique du Sud, pourquoi ? 

Parce que l’Afrique du Sud a vécu l’apartheid, l’Afrique du Sud a connu tout ce qui constitue aujourd’hui la cause de ce conflit.

L’ANC qui a rappelé ces derniers jours qu’à ses yeux, « l’histoire de l’apartheid en Afrique du Sud était la réalité de la Palestine occupée aujourd’hui »…  

Oui, ce qui caractérise ce conflit, au-delà de ces événements douloureux que nous avons vécus samedi, c’est qu’il y a une histoire faite de spoliation de terres, faite de discrimination, faite d’humiliation, et ça, beaucoup de pays africains le sentent amèrement, et beaucoup de pays africains aussi ont le sentiment que la communauté internationale n’a jamais pris à bras-le-corps la question palestinienne. Tout le monde sait que la solution minimale, c’est une solution à deux États, mais personne ne soutient la cause palestinienne. Et les États africains le rappellent à toutes les réunions, tous les mois de janvier, lors des sommets de l’UA, les États africains rappellent cela. 

Alors, vous dites que les États africains qui soutiennent Israël sont minoritaires, mais ils le soutiennent bruyamment. Le Kényan William Ruto affirme que rien ne justifie le terrorisme, et le Congolais Félix Tshisekedi proclame sa solidarité avec le peuple israélien.  

Oui, absolument, sur les 55 États membres de l’Union africaine, il y en a 43 qui ont reconnu l’État d’Israël, et dans ces 43 pays, il y a au moins une ambassade israélienne. Pourtant, lorsque cette crise a éclaté, ils sont moins de six à avoir la position que vous venez de décrire. Des États comme le Maroc, le Rwanda, qui sont pourtant très très proches d’Israël, n’ont pas pris de position, ça vous donne une idée des difficultés de ces États, surtout pour un pays comme le Maroc, où, malgré la prise de position du gouvernement qui était très diplomatique, il y a eu des manifestations à Marrakech, Casablanca et Rabat pour la cause palestinienne. Ça vous donne une indication sur le fait qu’avoir des relations avec Israël, c’est une chose, et ce que pense l’opinion publique est encore plus important dans beaucoup de pays.  

Suite au dernier sommet de l’Union africaine, où une diplomate israélienne a été expulsée des débats, le gouvernement israélien a regretté que « l’Union africaine soit prise en otage par un petit nombre de pays extrémistes, comme l’Algérie et l’Afrique du Sud. » 

Non, je ne pense pas que cet incident-là soit lié à une main mise d’un certain nombre de pays sur l’Union africaine, c’est plutôt qu’il s’agissait d’accorder un statut d’observateur à Israël auprès de l’Union africaine et la procédure, apparemment, n’avait pas été bien suivie. Et je me souviens qu’à l’époque, encore, il y avait eu des événements douloureux qui avaient causé la mort de milliers de Palestiniens, et à l’époque, les États africains ne voulaient pas qu’il y ait un lien entre l’admission d’Israël et cette situation, et c’est pourquoi ils avaient demandé à ce que ce dossier soit retiré. Et jusqu’à présent, d’ailleurs, ce dossier n’a pas été remis sur la table par le président de la Commission de l’UA, c’est vous dire, encore une fois, la sensibilité des Africains par rapport à la cause palestinienne.  

Est-ce qu’après l’assaut du Hamas contre Israël samedi dernier, les relations entre Israël et les pays africains vont changer, ou pas ?  

Changer, je ne dirais pas, mais au moins, il y aura un léger froid, parce que les Africains ont le sentiment qu’Israël devrait chercher à changer d’attitude, de comportement, vis-à-vis des Palestiniens de manière générale, parce que ce que les Africains veulent éviter, c’est que le Hamas soit assimilé à tous les Palestiniens. Beaucoup d’Africains ne sont pas d’accord avec les méthodes du Hamas, ne sont pas d’accord avec les stratégies du Hamas, mais les citoyens et les États africains refusent qu’on assimile tous les Palestiniens, les millions de Palestiniens. Ils refusent qu’Israël les traite de la même manière.  

Donc un sommet Afrique-Israël, comme a voulu l’organiser le Togo il y a quelques années, ce n’est pas pour demain ?

Tout à fait, ce n’est pas pour demain.   

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