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Emmanuel Favier autrice de «Le livre de Rose»: «Je transmets une vision du monde, des valeurs»

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L'autrice Emmanuelle Favier publie en cette rentée littéraire un roman consacré à la résistante et conservatrice de musée, Rose Valland, qui a joué un rôle décisif dans la protection du patrimoine artistique français durant la seconde guerre mondiale. Le livre de Rose lui rend hommage et pose des questions essentielles comme celle de la transmission dans nos sociétés actuelles.  

« Le livre de Rose » d'Emmanuelle Favier, publié aux éditions Les Pérégrines.
« Le livre de Rose » d'Emmanuelle Favier, publié aux éditions Les Pérégrines. © Capture d'écran éditions Les Pérégrines.
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RFI : Vous signez aux éditions Les Périgrines Le livre de Rose, c'est un roman récit autour du personnage de Rose Valland, une figure de la résistance qui a longtemps été oubliée et qui depuis quelques années est remise en lumière. Comment expliquez-vous ce regain d'intérêt autour de Rose Valland ?

Emmanuel Favier : Je pense qu'il y a un mouvement contemporain de redécouvert et de réhabilitation des figures de femmes et notamment des figures de résistantes. C'est un personnage très intéressant, selon moi, car elle transgresse tous les déterminismes. C'est-à-dire qu'elle va transgresser le déterminisme de genre, en tant que femme résistante et dans un milieu d'hommes que sont les milieux des historiens de l'art, et de la protection du patrimoine.

Elle avait une place assez singulière. En tant que femme issue d'un milieu modeste, elle transgresse les déterminismes sociaux. En 1939, lorsque éclate la guerre, elle est attachée de conservation au musée du Jeu de Paume à Paris, c'est-à-dire qu'elle est bénévole. Ce qui signifie qu'elle est rarement et difficilement rémunérée pour son action, et c'est l'un des aspects de la discrimination sexiste dont elle fait l'objet.

Rose Valland va faire preuve d'un courage incroyable pendant la guerre en protégeant le patrimoine français avec le Directeur des musées nationaux, Jacques Jaujard. Leur rôle est fondamental, car sans eux et sans Rose Valland, tout ce que les nazis ont spolié aurait pu être perdu à jamais.

C'est là que Rose intervient puisque les œuvres qui sont spoliées par les nazis dans les galeries, les appartements, chez les collectionneurs juifs sont d'abord entreposés au Louvre et très vite ensuite au musée du Jeu de paume. Rose va noter très précisément la provenance des œuvres et surtout leur destination. Elle va identifier un certain nombre de dépôts en Allemagne.

C'est grâce à ces notes clandestines qu'elle a prises au péril de sa vie – elle était très surveillée et d'ailleurs les nazis lui avaient clairement fait comprendre que dès qu'ils n'auraient plus besoin d'elle, ils l'exécuteraient – qu'elle est restée. Elle a tout noté et elle transmettait les informations à Jacques Jaujard. Grâce à elle, on a retrouvé environ soixante mille œuvres après la guerre. On estime à plus de cent mille, et sans doute davantage même, le nombre d'œuvres spoliées.

À écouter aussiGrand Reportage - La traque des œuvres spoliées aux juifs par les nazis

Ce n'est pas une biographie que vous signez, mais un récit qui met en scène une jeune réalisatrice qui réfléchit à réaliser un documentaire sur Rose Valland, et votre personnage pose des questions essentielles, comme celle de la transmission. Cette question est-elle au cœur du récit ?

Oui, c'est vraiment l'angle d'attaque principal. La chose qui m'a frappée, c'est cette idée que la transmission chez elle prenait une dimension collective, et pas du tout individuelle, ce qui d'ailleurs n'est pas très féminin. Donc ça, c'est très important pour moi, et ce dispositif où j'ai mis en scène une documentariste m'a permis de mettre en résonance les questionnements de Rose sur un plan collectif et historique, avec les questionnements plus individuels qui correspondent à nos propres questionnements sociétaux d'aujourd'hui. C'est-à-dire que ce n'est plus uniquement une affaire de protection du patrimoine artistique, mais c'est une affaire de positionnement notamment des femmes dans notre société, dans leur relation à la mémoire.

Le fait de produire une œuvre et d'être artiste pose encore les choses un peu différemment. C'est vrai que l'on dit souvent que nos œuvres sont nos enfants. C'est aussi à cet endroit-là que l'on va inscrire quelque chose de notre vision du monde. Quand on élève un enfant, il y a aussi quelque chose de cet ordre-là. Je transmets une vision du monde, je transmets des valeurs. C'est exactement ce que l'on fait en tant qu'artiste.

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