Invité du matin

«Il faut essayer de stabiliser la situation» à Zaporijjia, dit Rafael Grossi, directeur de l'AIEA

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Le directeur de l’Agence internationale de l’énergie atomique Rafael Grossi était de passage à Paris ce jeudi 25 août, pour y rencontrer le président français Emmanuel Macron. En plein préparatifs de sa mission sur le site de la centrale nucléaire ukrainienne de Zaporijjia, Rafael Grossi évoque la nécessité de se rendre sur place, alors qu’Ukrainiens et Russes s’accusent mutuellement de bombarder la centrale, la plus grande d’Europe. Le directeur de l’AIEA évoque aussi les efforts de relance de l’accord sur le nucléaire iranien (JCPOA), au moment où plusieurs sources estiment qu’un compromis est possible.

Rafael Mariano Grossi, le directeur général de l’Agence internationale pour l'énergie atomique (AIEA).
Rafael Mariano Grossi, le directeur général de l’Agence internationale pour l'énergie atomique (AIEA). © iaea.org
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RFI : Quand serez-vous en mesure de vous rendre sur le site de la centrale nucléaire ukrainienne de Zaporijjia, à la tête d'une mission de l'Agence internationale de l'énergie atomique ?

Rafael Grossi : On travaille là-dessus depuis des mois, je dois dire. L'idée c'est de mener une mission avec des experts pour établir un état des lieux, voir ce qui se passe. On sait que la centrale a été l’objet d’attaques, indirectes peut-être. Il y a eu un épisode au début de la guerre, au mois de mars, où un bâtiment a été ciblé. Et par la suite, on a connu aussi des problèmes au niveau de l'approvisionnement de l'électricité extérieure, qui continue d'ailleurs aujourd'hui aussi. Il faut essayer de rétablir les systèmes de transmission des données qui nous arrivent à Vienne et essayer aussi de stabiliser un peu la situation dans l'installation.

La Russie a donné son feu vert à la venue de cette mission. Quels sont les obstacles qui demeurent ?

C'est une mission complexe. D'abord, il y a le simple fait d'arriver sur place, ce qui n'est pas chose facile. C'est une zone de guerre. Je me suis déjà rendu en Ukraine deux fois (à Tchernobyl puis dans le sud du pays) mais ici c'est en pleine zone de guerre.

Donc il faut sécuriser notre itinéraire, il faut le faire en coordination entre les deux pays, ce qui n’est pas facile dans les circonstances. On doit aussi compter sur l'appui des Nations unies et de leurs blindés qui nous amèneront sur place. Ca c'est la logistique, ensuite au niveau technique, il faut bien définir les paramètres de la mission et – éventuellement - établir une présence continue de l'Agence sur place.

Il y a quelques jours, devant le Conseil de sécurité de l'ONU, vous avez dit  :« L'heure est grave ». La situation est dangereuse sur le site de cette centrale nucléaire ukrainienne occupée depuis des mois par l’armée russe ?

J'ai dit cela lors de cette session du Conseil et je crois qu’elle m'a aidé à générer un consensus international. Cette session était évidemment houleuse et les différences politiques étaient claires mais elle a quand même démontré l'accord de tout le monde sur un point :  la nécessité pour l'Agence internationale de l’énergie atomique de venir, la nécessité d'installer une présence impartiale, internationale et technique. C'est ce rôle-là qu'on essaye de remplir.

Le monde a connu des catastrophes dans le domaine du nucléaire civil : Tchernobyl, Fukushima… Est-ce que le monde et l’AIEA étaient préparés à cette situation nouvelle : une importante centrale nucléaire prise dans un conflit armé ?

C'est une guerre de type conventionnel qui s'apparente beaucoup à la Seconde Guerre mondiale, avec des chars, de l’'infanterie… on n’imaginait pas cela, on pensait plutôt à la cyberguerre et aux missiles ! Mais l'Agence est un réservoir de talents et d'expertise internationale. On a « la crème de la crème » des experts en technologie et en sûreté dans le nucléaire. Donc je dirais que même si on ne s'attendait pas à un tel événement, on est préparé.

Autre sujet brûlant : celui du nucléaire iranien. Estimez-vous, comme d’autres ces jours-ci, qu’un accord est à portée de main pour relancer l'accord le JCPOA, l’accord sur le nucléaire iranien de 2015 ?

Après des mois et des mois des négociations, il semblerait que les parties sont plus proches d'un accord que jamais. Proches de réinstaurer cet accord qui avait été vidé de son contenu. L’AIEA joue un rôle indispensable d'inspection. Nous, donnerons les garanties liées à l'accord. Je crois que c'est une opportunité qui nous donnera aussi le niveau d'accès et des vérifications dont on a besoin au vu de l'ampleur, de l'ambition et de la dimension du programme nucléaire iranien.

Que se passera-t-il si l'accord est relancé. Et au contraire s’il y a échec à le remettre sur les rails ?

Si l'accord est relancé, sur le plan politique c'est aux pays de dire ce qu’ils attendent. Mais c'est clair que sur le plan nucléaire, on aura la possibilité d’une vérification et d’un contrôle sur un programme nucléaire très vaste. Possibilité que nous n’avons pas actuellement. C'est une valeur ajoutée indéniable. Si l'accord ne réussit pas, je pense que nous devrons faire face à un défi : comment se mettre d'accord avec l'Iran pour qu'il accepte les niveaux d'inspection et de vérification exigés par un programme de ce type-là, qui enrichit de l'uranium à des niveaux assez proche du niveau militaire.

Ce que vous dites, c'est que ces dernières années, l'Iran s'est dangereusement approché de la capacité d'obtenir la bombe atomique ?

Je dis que l'Iran a un programme ambitieux, un programme qui exige un certain niveau de vérification, je ne fais pas de procès d'intention. On peut tirer des conclusions… c'est à vous, aux analystes, journalistes, hommes et femmes politiques de tirer les conclusions nécessaires. Moi je dis que ce n'est pas banal, si vous enrichissez de l’uranium à 60%, vous êtes proches d'un niveau militaire. Donc si vous faites ça OK… mais il faut se laisser inspecter sinon évidemment les sonnettes d'alarme se mettent à retentir.

Des voix s'élèvent contre l'idée de la relance de l'accord, notamment en Israël. Que répondez-vous à ceux qui remettent en cause l’idée même d'un accord ?

Je ne devrais pas, en tant que fonctionnaire international, juger la position individuelle d'un pays. Un pays fixe ses positions selon ses intérêts nationaux et  donc ce n'est pas à moi de les juger. Mais si on peut se mettre d’accord avec l’Iran sur un système crédible et robuste d'inspection, on enlève les arguments qui pourraient justifier une position hostile envers l'Iran. Donc je crois, que c’est « gagnant-gagnant » dans ce cas. C'est dans l'intérêt de tous que l'Iran puisse s'ouvrir au sens inspection internationale s'il n'a rien à cacher.

La position de l'Iran, c'est de dire : « nous ne voulons pas que se reproduise le retrait des États-Unis », comme lorsque l'Amérique de Donald Trump est sortie de l’accord en 2018. C'est un point sensible de la négociation ?

Je comprends cela. Sans juger les décisions du gouvernement américain jadis, je peux comprendre cela. Ils [les Iraniens] veulent s'engager et ils veulent une garantie que ça va continuer dans la durée. Je pense que c'est finalement une question de volonté politique. Si la volonté politique existe, on peut façonner et moduler les accords.

Si un accord est relancé dans les prochains jours sur ce programme nucléaire de l'Iran, est-ce qu'un chantier important s'ouvre à la fois pour l'Iran et pour votre agence, l’AIEA, afin que l'Iran revienne dans le cadre dont il s'est largement affranchi ces dernières années ?

Absolument. On aura un vaste travail d'inspection et de rétablissement. N'oubliez pas, par exemple, qu'il y a quelques mois l'Iran a déconnecté 27 caméras de l'Agence. Donc, il va falloir rétablir ces systèmes, rétablir ce qu'on appelle « la continuité des connaissances ». Ce sera un travail très important.

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