Shirin Ebadi, Prix Nobel de la paix: «La République islamique a fait du voile sa propre bannière»
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Dans quelques jours aura lieu le premier anniversaire du soulèvement populaire qui a suivi la mort de Mahsa Amini le 16 septembre 2022. Entretien avec Shirin Ebadi, avocate iranienne et Prix Nobel de la paix en 2003.
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RFI : Ce sera dans quelques jours le premier anniversaire du soulèvement populaire qui avait suivi la mort en détention de Mahsa Amini, trois jours après son arrestation pour « port de vêtements inappropriés », le 13 septembre. Qu’est-ce qui a changé pour les Iraniennes depuis ce mouvement qui a été très durement réprimé ?
Shirin Ebadi : En effet, cette répression a été extrêmement violente, et pour autant, la colère du peuple iranien n’a su être tue. Et le peuple continue d’utiliser tous les prétextes, toutes les possibilités pour rappeler à ce gouvernement les crimes qu’il a commis à son égard. En l’occurrence, non seulement de nombreuses personnes ont été tuées, mais l’État interdit, empêche les proches de ces personnes-là de porter leur deuil. Et on vient d’apprendre aujourd’hui même sur internet que l’oncle de Mahsa Amini a été arrêté. Donc, cette répression et cette violence ne cessent pas, elles perdurent. Mais la volonté et la détermination du peuple iranien, pour faire face et tenir tête à ce régime malgré sa violence, ne faiblit pas non plus.
Est-ce que vous pensez que le mouvement de protestation va reprendre de l’ampleur dans les prochains jours à l’occasion de ces dates symboliques que sont l’arrestation de Mahsa Amini le 13 septembre et de sa mort le 16 septembre ?
Très récemment, un certain nombre de personnes qui organisaient précisément des événements liés à cet anniversaire ont été arrêtées parce que leurs téléphones ont été mis sur écoute ou piratés. Pour autant, ces personnes-là ne sont pas seules ou isolées, et bien d’autres sont celles qui ont l’intention de saisir l’occasion de cet anniversaire pour de nouveau descendre dans la rue, crier leur colère et leurs demandes. Il ne faut pas oublier que lors de cette dernière année, aucune des demandes formulées par le peuple iranien n’a été prise en compte par le pouvoir et il n’y a pas eu de réponses. C’est tout à fait normal que cette colère ne fasse que croître et que l’anniversaire soit l’occasion de son expression.
Depuis quelques semaines, les patrouilles de la police des mœurs, au sein de laquelle il y a de nombreuses femmes, ont repris un projet de loi durcissant les sanctions contre les femmes qui ne portent pas ou qui portent mal, en vertu des prescriptions, leur foulard. Manifestement, le régime ne veut rien céder sur cette question. Comment l’expliquez-vous ? Est-ce que c’est strictement la préoccupation religieuse ou est-ce qu’il y a autre chose derrière cette volonté de contrôler les femmes ?
En effet, le régime iranien n’a absolument pas cédé ou fléchi sur la question du voile. Mais dans le même temps, les femmes iraniennes n’ont pas fléchi non plus puisqu’elles continuent d'être nombreuses à montrer leur chevelure, à retirer leur voile et à publier par différents modes virtuels des images d’elles-mêmes libérées de ce voile. Donc, cette lutte continue. Mais si le régime ne recule pas, c’est pour des raisons purement politiques. Il n’y a rien de religieux.
De nombreux religieux en Iran ont pris position sur cette question en disant que l’attitude qui est réservée par le régime vis-à-vis des femmes n’a pas de fondement religieux et qu’il faut laisser les femmes choisir librement leur tenue, mais aussi d’autres aspects de leur vie et de leur comportement. Et c’est la République islamique qui a fait du voile sa propre bannière. Elle ne veut pas céder sur ce symbole-là, sur cette bannière-là parce qu’elle sait que, si elle cède sur cette première question symbolique, le régime devra également céder et octroyer d’autres droits, répondre à d’autres réquisitions de ce peuple. Ce qui est complètement inenvisageable pour le régime.
À quel espoir se raccroche tous ceux qui veulent en finir avec la théocratie en Iran, mais qui sont confrontés à un régime totalement inflexible ?
Le seul espoir du peuple iranien, c’est l’union. C’est la force que l’on a lorsque l’on se donne la main avec un objectif commun. Et les Iraniens sentent cette force-là, cette confiance-là entre eux, et surtout ce courage. Le courage qu’ont les Iraniens aujourd’hui est immense. Il est encore plus grand que la violence de ce régime. Et c’est en raison de ce courage-là qu’ils seront vainqueurs.
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Quel rôle joue la diaspora iranienne ?
À mon sens, le seul devoir de la diaspora iranienne, c’est de porter la voix du peuple iranien qui est étouffée et de faire savoir au monde, à l’étranger, ce qui se passe en Iran. Et il me semble que cette tâche est très bien accomplie et que les Iraniens étrangers remplissent vraiment ce rôle de porte-voix. Pour autant, il y a des dissensions entre eux, entre les différentes figures de la diaspora iranienne. Il y a des dissensions, il y a des conflits qui n’ont, il me semble, aucune conséquence ni aucune importance pour la lutte du peuple iranien. Les Iraniens de l’intérieur n’attendent pas que les personnalités de la diaspora se réconcilient ou arrivent à un accord pour avancer dans leur mouvement. Ils ont leur propre objectif, leur propre force et ils ne comptent sur personne. Le seul rôle que la diaspora peut avoir, c’est celui de porter ce message-là et c’est de refléter le courage des Iraniens de l’intérieur.
Quelle conséquence a eu la sortie de l’accord sur le nucléaire décidé par Donald Trump en 2018 pour le peuple iranien ?
Les sanctions ont eu certes un coût pour le peuple iranien, mais s'il est tellement mécontent du régime en place, c’est pour des raisons politiques et économiques. Et le grand dysfonctionnement de l’économie iranienne est d’abord dû au manquement et à la corruption du régime iranien. Il est dû à ses mauvais choix, le fait qu’il est financé à ce point par le Hezbollah au Liban ou des mouvements du même type en Syrie et dans toute cette région. Ce sont ces manquements-là du régime qui sont tout d’abord la cause de la faillite dont souffrent les Iraniens, pas seulement les sanctions.
Qu’est-ce que peut changer le rapprochement entre l’Iran et l’Arabie saoudite qui a été orchestré par la Chine, à la fois pour le régime, mais aussi pour le peuple ?
Tant que ce ne sont que des prémices, il faut attendre et voir si ce rapprochement sera effectif. On voit que déjà sur la question du pétrole, les prétentions iraniennes ont été réfutées par l’Arabie saoudite qui se dit seule autorisée au prélèvement du pétrole avec le Koweït. Donc, voyons jusqu’où va ce rapprochement et si cet accord peut devenir réel.
Est-ce que vous observez ce qui se passe en France, ce débat qui agite régulièrement le pays sur la question de la laïcité ? Et si oui, quel regard portez-vous sur cette spécificité française ?
Je considère que la loi est ce qui prévaut et que tous les citoyens sont soumis à la loi et doivent la respecter. Pour autant, il me semble important qu’il n’y ait pas un respect moindre ou un rejet d’une religion, que l’islam ne fasse pas l’objet de restrictions auxquelles ne seraient pas soumises les autres religions. Il faut que toutes les religions soient sur un pied d’égalité.
Vous avez l’impression que l’islam serait traité de manière un peu injuste en France ?
Malheureusement, certains médias ont des comportements qui nourrissent l’islamophobie.
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