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Discours d'Emmanuel Macron: «On assiste à un néomacronisme»

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Emmanuel Macron a décidé d’employer la manière forte hier soir lors de son allocution pour parler de la situation sanitaire en France, mais aussi pour évoquer les réformes à huit mois de la présidentielle. Entretien.

Le président Emmanuel Macron lors de son allocution aux Français, le 12 juillet 2021.
Le président Emmanuel Macron lors de son allocution aux Français, le 12 juillet 2021. © Élysée
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Dans son allocution du lundi 12 juillet, le président français Emmanuel Macron s’est montré ferme sur la vaccination en multipliant les mesures restrictives : extension du passe sanitaire aux lieux de loisir, puis aux restaurants début août, vaccination obligatoire pour les soignants à partir du 15 septembre, tests PCR payants. Le président entend tenir son objectif de « vacciner un maximum de personnes partout à tout moment ». Décryptage de Luc Rouban, directeur de recherche au CNRS, enseignant à Sciences Po Paris.

RFI : Comment analysez-vous ce changement de ton du chef de l'État ? Contrairement au mois de janvier où il s'était montré très attentiste face à la troisième vague, en refusant de confiner, il emploie la manière forte face à la menace d’une quatrième vague.

Luc Rouban : Je pense qu’Emmanuel Macron s’inscrit dans la perspective de l’élection présidentielle de 2022. Cette intervention assez autoritaire s’inscrit aussi dans une demande d’autorité qu’on voit se développer dans l’opinion. Politiquement, il se situe sur ce centre de gravité de droite qui marque l'opinion politique française en ce moment. Autrement dit, il est obligé d’être autoritaire parce qu’il y a une demande d’autorité dans la population.

Mais ce n’est pas dans sa nature. Vous avez consacré un livre à Emmanuel Macron, Le paradoxe du macronisme, dans lequel vous décrivez notamment un homme à la philosophie très libérale. Or ces dernières annonces sont très autoritaires.

En effet, mais le macronisme a lui aussi muté. Il s’est en quelque sorte verticalisé à partir de 2018 avec la crise difficile des « gilets jaunes ». Je pense qu'Emmanuel Macron ne peut pas faire autrement. Hier, il a bien situé son intervention dans le contexte économique. En effet, la priorité pour lui, outre la question sanitaire, c'est de protéger la reprise économique que connaît la France en ce moment.

Donc, le problème aussi pour lui est de se positionner vis-à-vis de ses concurrents politiques directs que sont, d’un côté Marine Le Pen, de l’autre quelqu’un qui viendra de la droite parlementaire et qui se positionne aussi sur le terrain de l’autorité. Emmanuel Macron ne peut donc pas trop faire autrement. À mon avis, le macronisme d’autrefois est mort, et maintenant on assiste à un néomacronisme.

Vous dites qu’il y a une demande d’autorité dans le pays, mais Emmanuel Macron ne risque-t-il pas de payer électoralement cette forme de chantage à la vaccination chez ceux qui y sont opposés ?

Si on était parfaitement cyniques, je dirais que ceux qui font les élections maintenant, ce sont les séniors de plus de 60-65 ans, diplômés, fortunés. Ils se sont fait vacciner massivement et attendent que tout le monde soit vacciné. Ils craignent beaucoup, on l’a vu dans un certain nombre de reportages sur les Ehpad, les personnels soignants non vaccinés. Mais la peur est aussi chez ceux qui confient leurs familles aux Ehpad, aux centres de soins, aux hôpitaux... Emmanuel Macron est donc dans une position politiquement relativement confortable. Ce qui sera peut-être plus difficile en revanche, ce sera de mettre en œuvre les réformes sociales qu’il envisage.

À ce propos, sur la forme, fallait-il à la fois parler du Covid et de ces réformes qu’Emmanuel Macron entend relancer ? Cela ne risque-t-il pas de tout brouiller ?

C’était pratiquement un discours électoral, c’était un discours programmatique pour 2022. Emmanuel Macron se positionne sur le champ politique avec un ensemble de propositions à la fois économiques, sanitaires et sociales. Pour lui, il est très important de continuer à montrer qu’il est le président de la réforme, du progressisme, un peu comme Valéry Giscard d’Estaing en son temps. Et donc de se positionner sur le terrain de la transformation de la société, en disant à l'opinion qu'il n'a pas abandonné son projet initial de réformes. 

De réformes à venir. Car depuis le début de son quinquennat, à cause de la crise des « gilets jaunes » et de celle du Covid, il n’a finalement pas pu en entreprendre beaucoup…

Il y a eu quand même un certain nombre de réformes qui ont été mises en œuvre. Une qui concerne peu de monde, mais des personnes très importantes, est celle de la suppression de l’ENA et la réforme de la haute fonction publique. Il en a parlé hier soir, car l'un de ses grands enjeux est d’être – et il l’a dit – le président de la méritocratie.

Or, s’il y a bien un problème en France, c’est celui du rapport au mérite. Par rapport à d’autres pays – et les enquêtes du Cevipof le montrent –, c'est en France que les personnes interrogées se montrent le plus sceptique vis-à-vis de la méritocratie. Un comble pour un pays qui promeut sans arrêt la méritocratie républicaine. L'enjeu, considérable, pour Emmanuel Macron est de montrer qu’il est favorable à une société plus juste, plus équitable. Et dans le fond, qu'il reste toujours un peu le président de droite et de gauche.

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