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Violences en France: «Le policier n'est pas raciste quand il entre dans la police»

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Y a-t-il un problème avec la police française ? Après les gilets jaunes, les manifestations contre la réforme des retraites, la question revient en débat avec la mort de Nahel, 17 ans, tué mardi 27 juin par un policier lors d'un contrôle routier. Entretien avec Driss Aït Youssef, docteur en droit public et spécialiste des questions de sécurité. 

Un policier français monte la garde à côté de véhicules brûlés au cours d'une nouvelle nuit d'affrontements entre manifestants et policiers, le 1er juillet 2023 à Nanterre.
Un policier français monte la garde à côté de véhicules brûlés au cours d'une nouvelle nuit d'affrontements entre manifestants et policiers, le 1er juillet 2023 à Nanterre. © REUTERS/Yves Herman
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RFI : Y a-t-il un problème avec la police française ? Après les Gilets jaunes, après les manifestations contre la réforme des retraites, la question revient en débat avec la mort de Nahel, 17 ans, tué mardi par un policier lors d'un contrôle routier près de Paris. Alors, après la diffusion de la vidéo en début de semaine montrant le policier tirant à bout portant sur Nahel, on a entendu beaucoup de commentaires disant : « Ça y est, la France, c'est comme les États-Unis ». Qu'est-ce que vous en pensez ?

Driss Aït Youssef : Non, je ne crois pas. Qu'il y ait des problèmes au sein de la police nationale, ça ne fait aucun doute. Des problèmes à la fois de formation, des problèmes d'encadrement, une difficulté dans l'information - notamment en matière de doctrine et de relation à la population -, ça ne fait aucun doute. Qu'il y ait du racisme dans la police ou qu’il y ait des policiers plutôt racistes, ça ne fait absolument aucun doute. Il y a des condamnations, et c'est tant mieux... Mais de dire que le problème, il est généralisé à la police, ou en tout cas il est identique à celui des États-Unis, je n'irai pas jusque-là.

Vous avez évoqué la question du racisme avec le haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme vendredi, qui a dénoncé « les problèmes de racisme et de discrimination raciale parmi les forces de l'ordre françaises ». Là encore, est-ce une généralisation excessive ?

Oui, je pense que c'est une généralisation. Il faut bien avoir l'esprit – ou en tout cas, tenter de tracer des trajectoires -, que le policier, le candidat, quand il rentre dans la police, n'est pas raciste. Il souhaite servir un idéal, il veut servir un idéal, il veut servir la République, tous les Français, les protéger, quelles que soient leurs origines, cultuelles, culturelles ou sociales. Pour autant, pendant l'exercice de ses fonctions et à l'évolution de sa carrière professionnelle, il rencontre des difficultés et il n'a pas de soutien de hiérarchie. Il peut avoir un soutien d'une organisation politique d'extrême droite, mais pas de sa hiérarchie et ce qui fait que quelquefois le policier devient raciste, il n'est pas raciste en rentrant dans la police. Donc c'est ça qu'il faut combattre en réalité : qu’il y ait du racisme, ça ne fait aucun doute. La généraliser ? Non. Est-ce que c'est une fatalité ? Non.

Plusieurs études l’ont montré, environ 50% des policiers ont voté Marine Le Pen au premier tour de la présidentielle de 2017. Est-ce quelque chose d’inquiétant ou est-ce un problème ?

Est-ce que c'est un vote de conviction ou est-ce que c'est un vote de résignation ? Il faut bien faire la distinction entre les deux. Est-ce que tous les policiers sont emportés par les convictions du Rassemblement national sur le programme politique ? Je n'irai pas jusque-là. En revanche, il y a une résignation qui est certaine, absence de soutien de hiérarchie, absence de moyens, la confrontation avec un certain type de public jeune issu de la diversité des quartiers, ou en tout cas pour une minorité, c'est évident. Il ne faut pas oublier qu’au sein de la police nationale, vous avez aussi une diversité. De plus en plus de gradés sont issus de la diversité, je pense que c'est quelque chose qui va dans le bon sens, il faut l'améliorer et l'encourager.

Ce qui n'empêche pas que les contrôles d'identité concernent essentiellement - les chiffres le montrent encore – des personnes noires ou arabes.

Oui, mais ça, il ne faut pas le nier, il faut donner des explications. Vous avez aussi beaucoup sur Paris, des gens issus de la diversité qui ne se font pas contrôler. Vous avez beaucoup de contrôles dans les territoires parce que vous avez des opérations. Je ne veux pas les justifier, je veux simplement les expliquer. Il faut avoir un dispositif. Celui qui consistait à donner des récépissés, pouvait aller peut-être dans le bon sens, mais je ne dis pas, il faut regarder, y compris dans les contrôles d'identité dans les territoires, sont-ils justifiés ? Est-ce qu'ils sont encadrés ou non par l'autorité judiciaire ? Parce que je rappelle que les contrôles d'identité, le policier ne peut pas se lancer tout seul dans une aventure de contrôle d'identité. Il y a toujours un encadrement judiciaire.

Pour en revenir à la mort de Nahel : les policiers français ont dénoncé l'incarcération de leurs collègues. Est-ce que cette mise en détention provisoire est une exception dans ce genre d'affaire ?

Alors c'est vrai que dans des affaires similaires - et il y a eu une affaire comme ça quelques jours avant -, le policier qui a fait usage de son arme à feu a été mis en examen pour homicide volontaire, c'est-à-dire la même qualification que celui qui a tiré sur le jeune Nahel, a été placé non pas en détention provisoire, mais sous contrôle judiciaire avec une interdiction et de porter une arme et d'exercer sa fonction. Là, compte tenu de l'émotion, compte tenu des explications du policier et de la volonté aussi, très certainement, de le protéger, parce qu'il fait l'objet de nombreuses menaces, le choix a été fait de la placer en détention provisoire. Ce qui ne veut pas dire qu'il est coupable, c'est simplement une mesure qui vise à protéger à la fois l'individu et l'enquête, pour éviter qu'il y ait des concertations. Mais ça ne veut pas non plus dire qu'il va y rester très longtemps.

Vendredi, deux syndicats policiers, Alliance et Unsa police ont publié un communiqué que la gauche a qualifié de « séditieux ». La Confédération syndicale, à laquelle appartient Unsa police, a aussi dénoncé ce texte. Comment interprétez-vous les propos tenus par ces deux syndicats ?

D'abord, le tract est scandaleux, il faut le dire. Je crois qu'aucune organisation syndicale, et en particulier de la police nationale qui a un rôle particulier, ne peut s'immiscer ou promouvoir un tract avec un contenu pareil, celui qui appelle presque à la vengeance, ou en tout cas la sédition, c'est un scandale absolu. Le ministre de l'Intérieur a eu tort de ne pas le dénoncer, de ne pas condamner ce tract. Ensuite, il faut regarder l'organisation syndicale, les tensions qui sont au sein de la police nationale avec des consignes et des contre-consignes. Et, ensuite, avec des policiers qui ont été sauvagement molestés à Marseille. Pour autant, cela ne justifie pas, un tract comme ça. L'organisation syndicale aurait dû appeler au calme contre les exactions commises contre les policiers et les gendarmes, aussi contre les biens publics. Mais à aucun moment, produire et diffuser ce genre de communiqué... Je constate qu'ils ont tenté par la suite de s'expliquer, ou en tout cas d'expliquer leur communiqué, mais le mal était déjà fait.

 

 

 

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