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Filippo Grandi: «Nous avons 100 millions de dollars déjà disponibles» pour l'hiver en Ukraine

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Filippo Grandi, le Haut Commissaire des Nations unies pour les réfugiés, a achevé sa visite en Ukraine – il y a rencontré le président Volodymyr Zelensky et s'est rendu sur les lieux de la frappe de missile russe sur un hôpital de Kiev la semaine dernière ainsi que dans l'est du pays, à Kharkiv. Au programme de cette visite, une nouvelle annonce de soutien du HCR à l'Ukraine à hauteur de 100 millions de dollars pour faire face notamment au froid cet hiver. Dans un entretien exclusif pour RFI, Filippo Grandi a répondu au micro de notre correspondante en Ukraine Emmanuelle Chaze.

Filippo Grandi, le Haut Commissaire des Nations unies pour les réfugiés, au micro de RFI le 19 juillet 2024 à Kiev, Ukraine.
Filippo Grandi, le Haut Commissaire des Nations unies pour les réfugiés, au micro de RFI le 19 juillet 2024 à Kiev, Ukraine. © Emmanuelle Chaze / RFI
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RFI : C'est la sixième visite que vous faites en Ukraine depuis le début de l'invasion à grande échelle ?

Filippo Grandi : Pour être précis, ma première visite était avant l'invasion à grande échelle. N'oublions pas que la guerre ici a commencé en 2014, et que le HCR, parmi d'autres organismes humanitaires, a été présent ici depuis le début. À l'époque, c'était possible de traverser ce qu'on appelait la ligne de contact. Je me souviens qu'en 2016, j'ai visité le Donbass, Donetsk et Luhansk où l'on avait, à l'époque, une situation de déplacement.

Tout ce qui s'est passé après 2022 – et c'est à partir de là que je suis venu encore cinq fois – a dépassé de loin les problèmes qu'on avait vécus auparavant. Cette opération pour le HCR, comme pour beaucoup d'autres partenaires humanitaires, est devenue une des grandes priorités de notre travail globalement.

Vous avez vu le président en arrivant. Quelles ont été vos impressions de cet échange ? Ce n'est pas le premier échange que vous avez avec Volodymyr Zelensky.

Une bonne entente de vues, beaucoup de collaborations. Vous savez, ça n'a pas toujours été simple, mais depuis février 2022, nous avons fait des progrès énormes dans notre collaboration avec le gouvernement. Je dois reconnaître, avec plaisir d'ailleurs, que le gouvernement a un leadership dans le secteur humanitaire considérable.

On ne voit pas ça toujours et partout. Donc, on est bien content de soutenir ce rôle primaire du gouvernement qui établit les priorités, qui nous aide à définir les tâches respectives. Nous avons discuté de cela avec le président.

Nous avons évoqué aussi deux autres sujets qui sont importants pour nous. Un, c'est la crise de l'énergie, comme on l'appelle ici. Le fait que beaucoup d'installations pour l'électricité ont été endommagées ou détruites par les bombardements russes. Il y a un grand défi, notamment dans la perspective d'un hiver qui est toujours très rigide ici. Et on a discuté aussi de la situation des réfugiés ukrainiens à travers le monde.

Pendant votre visite à Kiev, vous vous êtes aussi rendu sur les lieux d'une des dernières explosions. C'est celle contre l'hôpital de Okhmatdyt, je crois que vous étiez sur place.

Oui, quelques jours après cette explosion, cette attaque, cette frappe aérienne en fait. J'ai trouvé ça profondément choquant. Ce n'est pas parce que je n'ai jamais vu de destruction dans ma vie, en 40 ans de carrière humanitaire... Mais parce que détruire un hôpital pour les enfants me semble la pire offense qu'on puisse faire aux droits humanitaires, aux droits internationaux humanitaires. Je l'ai dit plusieurs fois, mais, je le répète, détruire un hôpital pédiatrique, un hôpital dans lequel on soigne des enfants qui ont des défauts congénitaux cardiaques, un hôpital très important, l'un des plus importants d'Ukraine et d'Europe dans ce domaine, est sans justification.

Ça devrait être un des endroits les plus protégés, les plus respectés au sens du droit humanitaire. J'ai voulu y aller tout de suite, dès mon arrivée à Kiev, avant même de voir le président, pour exprimer d'un côté ma rage par rapport à ce que j'ai témoigné, mais aussi ma solidarité avec les enfants de l'Ukraine, avec les familles, avec les médecins qui travaillent. Vous savez, je vous dis ça parce que je l'ai raconté, ça m'a choqué profondément.

Le médecin qui m'a conduit, qui m'a montré la situation dans l'hôpital, m'a dit qu'au moment de l'explosion, des opérations étaient en cours, où des enfants étaient en train, vous le savez certainement, d'être opérés à cœur ouvert. Ils ont dû refermer les petits corps de ces petits enfants et continuer les opérations ailleurs. Vous imaginez le danger extrême qui est représenté par tout ça.

Et tout ça, ils ont dû faire en catastrophe, pendant que l'hôpital était frappé, endommagé, des vitres partout, des murs qui tombaient ! Ça m'a frappé. C'est des histoires qu'on entend aujourd'hui, malheureusement, à Gaza, au Soudan ou ailleurs. Mais quand vous le voyez, bien sûr, c'est très fort.

Il y a un autre endroit, je crois, qui vous tient particulièrement à cœur, c'est la région de Kharkiv. Vous y êtes également rendu. Est-ce que vous pouvez nous parler un petit peu de cette visite et du travail qui est effectué là-bas pour soutenir la population locale et les déplacés internes ?

Cette visite à Kharkiv intervient six mois après ma dernière visite là-bas, dans la même ville. J'ai trouvé un peu moins d'angoisse par rapport à la situation militaire, qui reste néanmoins extrêmement fragile, et malgré le fait que les frappes aériennes, là aussi, ont un impact terrible sur la population civile. En même temps, il y a beaucoup d'angoisse et d'appréhension par rapport à l'hiver qui vient.

L'hiver semble loin, on est au milieu d'une vague de chaleur en Ukraine, mais l'hiver est très proche... Dans trois ou quatre mois, il fera très froid à Kharkiv, comme dans toute l'Ukraine. Il faut accélérer au maximum les activités pour se préparer pour l'hiver. C'était le clou de nos discussions avec le gouverneur, avec le maire de la ville, avec les chefs de districts et avec la population impactée. Ils ont très peur que l'hiver soit très dur.

Vous savez, je l'ai dit pendant ce voyage, le HCR s'occupe essentiellement de déplacés, de réfugiés, de gens qui ont quitté leur maison. Mais ici, le défi, c'est plutôt le contraire. C'est de s'assurer que les gens ne quittent pas leur maison, et que donc, ils se sentent au chaud et en sûreté dans leur maison.

Alors, sur la sécurité, sur la sûreté, il n'y a pas grand-chose qu'une organisation humanitaire peut faire. Mais sur le confort relatif, un minimum de confort dans les appartements qu'ils habitent, dans les maisons qu'ils habitent, on va essayer de faire de notre mieux. Je l'ai annoncé, j'ai dit au président qu'on avait 100 millions de dollars, grâce à nos bailleurs de fonds, déjà disponibles pour cet effort de préparation à l'hiver.

Alors justement, on a cette situation qui est dramatique, qui est très inquiétante par rapport à l'énergie dans toute l'Ukraine. Et comme vous êtes allé à Kharkiv, je vais en reparler. Il y a aussi cette situation des déplacés internes dans la ville, ce sont des milliers de personnes.

Premièrement, il faut comprendre ce phénomène assez singulier du déplacement ukrainien. Évidemment, si les frappes continuent à Kharkiv, si l'hiver vient et l'on n'est pas trop près, il y aura certainement des gens qui vont bouger de Kharkiv vers d'autres zones, peut-être moins frappées par la guerre de l'Ukraine. En même temps, Kharkiv elle-même reçoit des gens de tous les alentours qui sont en fait sur la ligne de front.

Selon le maire, avec qui j'ai eu un long entretien hier, il y en a à peu près 200 000. Il y a beaucoup d'appréhensions que cette crise pourrait engendrer une nouvelle crise de réfugiés vers l'Europe. Moi, je suis plutôt de l'avis que ce qu'on risque – et ce n'est pas le moindre risque – c'est un accroissement du déplacement interne.

Qu'est-ce qu'on fait pour ces personnes ? Nous, on s'occupe essentiellement de distribuer du cash aux personnes qui ont particulièrement besoin de soutien. Nous sommes aujourd'hui devenus l'agence, l'organisation qui distribue le plus de cash humanitaire dans le pays.

On a aussi un programme, non pas de reconstruction, parce que ça serait aller trop loin pour nous, une agence humanitaire, mais pour aider les gens qui ont eu leur appartement endommagé, pour qu'ils puissent continuer à y vivre. Ces réparations d'urgence sont un gros programme que l'on a ici et qu'on a déployé un peu dans tout le pays, au moins dans les zones frappées par la guerre. On a aussi un programme plus HCR, si vous voulez, plus spécifique, plus « protection », qui s'occupe de fournir des informations aux personnes, que ce soit une aide légale.

Beaucoup de personnes ici ont des problèmes administratifs et légaux liés à leur situation. On a aussi un programme d'aide aux personnes qui ont subi des traumatismes, notamment des enfants. Hier, j'étais avec une famille déplacée de la zone frontalière avec la Russie, à Kharkiv.

Les enfants, la grand-mère me disait, ont vécu cette évacuation de leur village de façon très traumatique. Parce que ça leur a pris beaucoup de jours, ils n'arrivaient pas à sortir parce qu'il y avait des bombardements... Les enfants ont vécu tout ça dans la terreur. Ils arrivent, ils sont complètement traumatisés.

On a besoin – c'est un grand besoin dans ce pays – d'appuyer les gens, de les aider à sortir de ce traumatisme. Je vous donne seulement des exemples, on fait d'autres choses, mais ça, ce sont des opérations très pratiques qu'on fait dans le pays.

Est-ce qu'on a une vue déjà un peu globale de ce qui a été effectué en matière de chiffres ? Combien de personnes ont été signées avec un chiffre ? Combien de personnes, concrètement, ont été aidées depuis 2022 ?

Nous avons aidé 30 000 familles à réparer au moins une partie de leur appartement pour qu'ils puissent y vivre encore. 30 000 familles, ça fait au moins 100 000 personnes – c'est un exemple. On a aidé au moins 250 000 personnes avec une aide ponctuelle en relation à leur situation de déplacement.

On a distribué environ un demi milliard de dollars, ce sont des chiffres en dollars, un demi milliard de dollars en cash depuis 2022. Je vous donne les chiffres, je n'ai pas les chiffres de 2014, mais en 2022, 500 millions de dollars en cash qui ont été distribués. Sur un total de près de 2 milliards de dollars distribués par les Nations unies, un quatrième de ces opérations a été effectué par le HCR. On accélère ces opérations et on va continuer tout cela. Bien sûr, les besoins sont beaucoup plus grands que ça, mais ce ne sont pas des chiffres dérisoires. Ce sont des chiffres qui font une différence au niveau de l'impact de l'action humanitaire, au moins pour soulager les problèmes les plus urgents des personnes.

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