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Fête de la musique: Jack Lang prône «un événement musical et civique»

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Jack Lang, qui fut l'initiateur de la Fête de la musique en 1982, alors qu'il était ministre de la Culture, répond aux questions de RFI et évoque cet évènement qui rayonne depuis lors, au-delà des frontières françaises.

Jack Lang, en mai 2022. Il y a 40 ans, il a lancé la première édition de la Fête de la musique.
Jack Lang, en mai 2022. Il y a 40 ans, il a lancé la première édition de la Fête de la musique. © AFP/Ludovic Marin
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RFI : Cette année, la France fête les 40 ans de la Fête de la musique. Quand vous avez lancé cette petite étincelle, en 1982, vous étiez ministre de la Culture. Est-ce que vous vous imaginiez la durée de cette manifestation ?

Jack Lang : Absolument pas. C’était un coup d’essai, assez culotté même : proposer aux gens de sortir de chez eux avec leur instrument de musique, leur voix, leurs copains, leurs copines et de jouer sur les places, dans les gares, un peu partout. Il n’était pas certain qu’ils répondent à notre appel. Et d’ailleurs, j’ai eu à ce moment-là le plus grand trac de ma vie. Je me suis dit que ce serait peut-être un bide catastrophique, que les gens allaient rester cloîtrés chez eux. Et finalement, les gens ont été audacieux, ont osé, ont eu envie. Et tels les escargots après la pluie, ils sont sortis et se sont retrouvés ici ou là, un peu partout. Et pas seulement à Paris comme on croit, mais un peu partout à travers la France.

L’idée, c’était que ce soit une fête de toutes les musiques. À ce moment-là — on ne se rend pas compte aujourd’hui —, le ministère de la Culture français s’intéressait principalement, avant notre arrivée, à la musique classique, ce qui est bien, mais ignorait les autres, les musiques traditionnelles, les musiques actuelles, le rock, le jazz et tant d’autres musiques. Et nous voulions déjà que ce soit une fête de la coexistence ou de l’entremêlement de toutes les musiques. Et la troisième idée — c’était un peu le hasard —, c’est le choix de la date du 21 juin, le jour du solstice d’été, la nuit la plus courte. L’été, c’est la plus belle des saisons, la saison des rencontres, la saison des amours, la saison de la lumière. Ça résume assez bien l’événement. L’événement est à la fois un événement musical et un événement civique. On se retrouve sous un jour hors le temps. Chacun se sent heureux. Vous remarquerez d’ailleurs que pendant la Fête de la musique, il n’y a jamais aucune violence. Sauf lorsqu’un jour un flic a commis la bêtise, plus que la bêtise, presque le crime, de propager des gaz lacrymogènes sur une bande de jeunes qui jouaient de la techno le long de la Loire et l’un d’entre eux s’est noyé.

Mais autrement, c’est un moment de grâce, un moment où on se sent heureux comme une sorte d’humanité partagée. Cette année, ce sera peut-être plus vrai que d’habitude puisque nous avons été enfermés, si j’ose dire. Et c’est un moment de retrouvailles, de respiration, de nouvelle vie, de renaissance pourrait-on dire. Et la Fête de la musique, cette année, a plus que jamais son sens civique, son sens humain.

Est-ce que vous avez été associé à ce 40e anniversaire et comment vous l’imagineriez dans votre idéal ?

Les initiatives pleuvent, si j’ose dire, surgissent partout. Parmi celles-là, il en est une qui me touche spécialement. C’est l’initiative du maire de Villeurbanne (Cédric Van Styvendael, ndlr) qui, avec son collègue, le maire de Lyon (Gregory Doucet) a créé un véritable boulevard de la musique sur six kilomètres qui relie les deux places centrales des deux villes. Et les jeunes ou moins jeunes vont pouvoir s’emparer de ce boulevard. C’est une première. C’est quelque chose d’assez remarquable et je me rendrai à Villeurbanne. Dans l’après-midi, en présence de nombreux enfants et de jeunes, on va souffler les 40 bougies.

Jack Lang, à l'initiative de la Fête de la musique, le 21 juin 1982 aux côtés de Danièle Mitterrand.
Jack Lang, à l'initiative de la Fête de la musique, le 21 juin 1982 aux côtés de Danièle Mitterrand. © AFP/Joël Robine

On a parlé de 1982. Et en 1985, la Fête de la musique est devenue européenne et aujourd’hui, il y a entre 120 et 140 pays dans le monde qui y participent. Ça aussi, ça, ce n’était pas prévu…

Non, mais je vous dis franchement, je l’ai réellement voulu, non pas la première année, mais quand j’ai vu qu’en France, l’événement touchait les cœurs des gens, je me suis dit : pourquoi pas ailleurs ? Et comme je suis profondément internationaliste et universaliste, je me suis dit : essayons de propager cette idée ailleurs. J’ai appelé mes collègues ministres, les médias, les radios, les journaux. Et petit à petit, l’événement a traversé les frontières, en Europe d’abord, ensuite en Asie, en Amérique. En Amérique en particulier, c’est une initiative d’un type extraordinaire qui s’appelle Aaron Friedman, qui a créé la Fête de la musique il y a une quinzaine d’années.

Et aujourd’hui, elle est présente dans plus d’une centaine de villes en Amérique. Il y aura un événement symboliquement très fort, imaginé par Aaron Friedman : il a loué, si j’ose dire, la statue de la Liberté. Il va donner, avec des amis, un concert, Le Carnaval des animaux de Saint-Saëns, qui avait été créé à la même époque. Il va établir des liens entre la statue de la Liberté de New York et la statue de la Liberté de Paris. Et en même temps, dans beaucoup de pays, il va faire en sorte que son initiative se démultiplie. Et puis il y a l’Afrique… C’est émouvant, c’est touchant. En tout cas, dans cette période où la guerre est à nos portes, où elle frappe ici ou ailleurs des peuples, amis ou voisins. L’art et la musique, c’est aussi une aspiration à l’amitié, à l’amour, à la fraternité.

Est-ce que vous avez un ou deux souvenirs marquants de Fête de la musique à laquelle vous auriez participé au cours de ces 40 ans ?

Le plus extraordinaire, c’est ce qui n’est pas prévu. C’est d’ailleurs l’esprit de cette fête, c’est l’inattendu. Au coin d’une rue, sur une place. Et c’est arrivé souvent… Un musicien seul, mais en symbiose avec son instrument de musique, une petite chorale. Et puis tel village, tel quartier. Quand j’étais maire de Blois, la Fête de la musique battait son plein partout, et notamment dans la ZUP. C’était vraiment le haut lieu de la ville.

Et puis, pour la première Fête de la musique, Jacques Higelin a pris une initiative tout seul. Il a loué un camion dépliable qu’il a transporté à travers la ville comme une sorte d’itinérance musicale. Il a rallié à lui des musiciens de partout. Ça a été une fabuleuse farandole. Et aujourd’hui, d’ailleurs, vos collègues de Radio France, Didier Varrod surtout, a imaginé cette année de louer une sorte de camion dépliable qu’il va transporter d’un endroit à l’autre dans la ville. Et d’ailleurs, il inaugurera, si j’ose dire, son itinérance ici même à l’Institut du monde arabe où les fanfares de Didier Varrod viendront à la rencontre des musiciens algériens.

Le chanteur Jacques Higelin, lors de la première Fête de la musique, le 21 juin 1982.
Le chanteur Jacques Higelin, lors de la première Fête de la musique, le 21 juin 1982. © Getty Images/Gamma-Rapho/Patrick Aventurier

Vous êtes fier de cette initiative que vous avez prise ?

Le mot fier, je ne le connais pas bien. Je suis heureux. C’est un grand bonheur de penser que — malgré moi d’ailleurs, parce que j’ai lancé l’idée — cette fête n’existerait pas si des personnes, des millions de personnes, des centaines de millions de personnes ne faisaient pas vivre l’événement. Il leur appartient, c’est le bien commun de ces musiciens.

Je suis assez content, en effet, quand les choses vous échappent. Vous m’interrogez aujourd’hui parce que j’en ai été à l’origine. Mais il y a eu tellement de choses extraordinaires qui se sont déroulées à Berlin ou à Shanghai, à Kinshasa où j’étais invité et où, malheureusement, je ne pouvais me rendre. À Dakar, ou un peu partout dans le monde, en Corée, en Amérique latine. Enfin, j’oublie beaucoup de pays en vous parlant à l’instant.

Est-ce que François Mitterrand, à la fin de ses deux mandats, vous a dit quelque chose sur la Fête de la musique ? Était-il heureux lui aussi de cette initiative ?

Très heureux. D’ailleurs, il est venu parfois avec moi dans la ville et chaque fois, les gens lui ont fait fête. Ils étaient heureux que ce président soit un président amoureux de la musique, proche de la jeunesse. Aujourd’hui, on parle beaucoup de la jeunesse dans les débats politiques, mais à l’époque, ce n’est pas un problème pour nous. La jeunesse était avec le président Mitterrand, la jeunesse du monde même et la jeunesse ne demande que ça, de retrouver un sens à la vie collective, par l’art, par l’éducation, par de beaux projets et aussi par un idéal politique. Oui, François Mitterrand a souvent dit que c’était une des réalisations phares de sa présidence qui marquera le souvenir, qui restera inscrit dans la mémoire collective. Et il avait raison.

Aujourd’hui, c’est un rituel...

C’est un rituel. Je vous recommande de lire un très beau texte d’Edgar Morin, qui avait publié voici quelques années en préface à un livre du Seuil sur Le Sacre musical des Français. Il décrit cela très bien. Il dit que cette fête cosmique est devenue un rituel civique. Et c’est vrai.

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