Alors que nombre de témoins le désignent comme principal responsable de la fin tragique du héros de la jeunesse africaine, l’ex-bras droit de Blaise Compaoré demeure droit dans ses bottes. C’est tout juste si le général Diendéré ne soutient pas que Sankara est peut-être vivant, quelque part. Ou alors, que s’il est décédé, c’est probablement d’un mauvais palu, et non dans un règlement de comptes sanglant entre révolutionnaires.
Au procès sur l’assassinat de Thomas Sankara, à Ouagadougou, les audiences se suivent et se ressemblent. Les témoins à la barre, défilent pour feindre l’amnésie, ou pour indexer le général Gilbert Diendéré comme cerveau de cet assassinat. Autant d’accusations que l’ex-bras droit de Compaoré réfute avec aplomb. Ce procès n’est-il pas en train de perdre les vertus pédagogiques qu’on lui prédisait ?
Rien ne se perd, et des retournements spectaculaires restent possibles, dont deux, s’ils survenaient, relèveraient du miracle et restitueraient à ce procès toute la charge historique que l’on en espérait. Un premier miracle serait, ici, de voir le général Diendéré assumer pleinement ce qu’il a fait, ou laissé faire.
► À lire aussi : Assassinat de Thomas Sankara: enjeux et limites d'un procès historique
Car, au-delà des dénégations et accusations de faux-témoignages, nul ne peut contester que Sankara est mort, criblé de balles, donc assassiné. Et ceux qui l’ont abattu ont dû avoir reçu le feu vert, sinon l’ordre, de quelqu’un, à qui profiterait le crime. Voilà pourquoi tous se tournent vers Blaise Compaoré et l’homme puissant qui, dans un mutisme absolu, gravitait dans son ombre: le futur général Diendéré. Ce dernier se serait-il permis d’ordonner, de son propre chef, la liquidation d’une figure aussi charismatique que Sankara ? On disait Diendéré capable de donner sa vie pour Compaoré. Jusqu’à présent, son silence aura suffi à son mentor. Endosserait-il, la responsabilité de cet assassinat, pour éviter à Compaoré une condamnation ? D’aucuns, au Faso, ont cru déceler dans son aplomb à la barre l’assurance d’un homme convaincu qu’avant la fin de ce procès, ses amis se seront saisi du pouvoir, pour le libérer et sceller hermétiquement ce dossier resté sans objet pendant vingt-sept ans.
Quel serait donc le second miracle possible ?
Ce serait voir Blaise Compaoré rentrer à Ouaga, pour laver son honneur de militaire et d’ancien chef d’Etat, en s'évitant le spectacle de son protégé "mourant" pour lui. Vous vous souvenez sans doute des insinuations de Mariam Sankara, qui l’accusait pratiquement de lâcheté, dans une interview sur RFI, à la veille de l’ouverture du procès : « Ne pas répondre à la justice, changer de nationalité, essayer de se dérober… tout cela n’est pas très courageux. Il ne peut pas fuir indéfiniment », disait-elle.
Il ne serait pas le premier ancien chef d’État africain renversé à choisir d’aller affronter courageusement la justice de son pays. Jean-Bedel Bokassa, empereur déchu de Centrafrique, avait débarqué à l’improviste à Bangui, en 1986. Il a été jugé, condamné à mort, puis finalement gracié, pour finir sa vie en liberté. Depuis, les Centrafricains lui ont presque tout pardonné, et le regrettent même parfois. Blaise Compaoré ne peut pas risquer pire, au Burkina, s’il choisissait d’assumer…
Ce ne semble pas être l’avis de ses avocats, qui préfèrent boycotter le procès…
Dans des affaires aussi graves, on se défend toujours mieux, en s’appliquant sur le fond de ses dossiers, plutôt que de céder au dilettantisme des risques imaginaires et de tout ce qui peut empêcher la tenue du procès. Sankara a bien été tué, et son assassinat, pour certains, relèverait des petits meurtres classiques entre révolutionnaires. Depuis le début de ce procès, l’on a pu apprécier à quel point les camarades du Faso étaient, à l’époque, à couteaux tirés, chaque camp guettant l’autre, la main sur la gâchette.
Cette banalisation des tueries entre révolutionnaires, durant la guerre froide, a conduit, le 15 octobre 1987, à l'assassinat du héros de tout un continent. Mais le contexte ne devrait dispenser personne d’admettre ses responsabilités dans de tels crimes. Et la pire des indécences serait de persister à faire croire que Sankara a pu mourir de sa belle mort.
NewsletterRecevez toute l'actualité internationale directement dans votre boite mail
Je m'abonne