Crises au Sahel: «L'aide internationale au développement a échoué dans ses grands objectifs stratégiques»
Publié le :
L'anthropologue Jean-Pierre Olivier de Sardan vient de faire paraître un ouvrage intitulé L'enchevêtrement des crises au Sahel (éditions Karthala). Qu'elles soient agro-pastorales, politiques, sécuritaires, qu'elles touchent à l'emploi, aux services publics ou aux armées, les multiples crises n'ont jamais connu de solutions satisfaisantes, ni de la part des dirigeants des pays concernés, ni de la part de l'aide au développement internationale qui n'a jamais eu les effets escomptés, selon le chercheur franco-nigérien.

Des crises qui sont d'ordre agro-pastorales, des élites politiques dépréciées ou encore des services publics qui ont conduits des pays comme le Niger, le Mali ou le Burkina Faso dans la situation actuelle. Des crises profondes qui n'ont jamais connu de solutions satisfaisantes, ni de la part des dirigeants des pays concernés, ni de la part de l'aide au développement internationale qui n'a jamais eu les effets escomptés, selon Jean-Pierre Olivier de Sardan.
Jean-Pierre Olivier de Sardan : Ce qui est sûr, c’est qu’il y a une contradiction entre cette aide dont les pays sont devenus dépendants, et le fait qu’en même temps, elle a échoué dans ses grands objectifs. Au fond, cette aide a eu beaucoup de succès tactique : on va toujours dire que les indicateurs de la mortalité maternelle, de la mortalité infantile, du niveau de vie des pauvres se sont améliorés. Il y a une batterie d’indicateurs quantitatifs qu’on peut toujours mobiliser et les organisations internationales ou les agences d’aide ou les ministères du Nord ne se privent pas pour vanter leurs résultats. Mais en même temps, les objectifs stratégiques, aucun n’a été atteint. Premier objectif stratégique : diminuer de façon significative la pauvreté. La pauvreté, ça n’a absolument pas diminué, on est bien d’accord ?!? Le deuxième objectif, c’était de mettre fin à la dépendance à l’aide. L’aide doit arriver à ce que les pays puissent s’en sortir tout seuls. Absolument pas, on est toujours exactement dans la dépendance à l’aide. Un troisième élément, c’est d’être arrivé à ce que les services publics soient de qualité. Dégradation partout du service public... ! Il y avait une amélioration dans l’accès aux services publics, il y a de plus en plus d’enfants qui sont scolarisés, de plus en plus d’hôpitaux. Mais, dans les écoles où les enfants sont scolarisés, le niveau a baissé de façon catastrophique. Cette histoire de service public, qui est pour moi centrale, ça se voit très facilement. Prenez n’importe quelle réunion de cadre nigérien, de cadre malien, de cadre burkinabè, demandez-leur s’ils ont leurs enfants dans l’école publique ? Presque aucun ! Demandez-leur s’ils vont au dispensaire du coin se soigner ? Aucun !! C’est bien ça que reprochent les populations aux gouvernements. Tout le monde sait, au Niger ou dans les pays voisins, que l’école est catastrophique. Tout le monde sait qu’elle ne produit que des chômeurs vaguement lettrés. Au fond, c’est un peu ça qu’elle produit. Du coup, quand les djihadistes viennent en disant ‘‘A bas l’école occidentale’’, ‘‘vive l’école coranique’’ etc., peut-être qu’ils ont plus d’audience, du fait de cette faillite de l’école à l’occidentale.
RFI : Ces échecs que vous décrivez, est-ce qu’il ne faut pas justement que ceux qui ont propagé des politiques d’aide au développement, des États comme la France, fassent un peu leur auto-critique par rapport à tout ça, et leur examen de conscience par rapport à 60 ans de déception ?
Oui, bien évidemment. C’est toujours difficile d’appeler les autres à faire leur auto-critique, en général ils ne sont pas très enthousiastes pour le faire. Vous voyez, le sentiment anti-français, puisque évidemment c’est d’actualité. Ce qui est très curieux, c’est que, de fait, la position de la France en Afrique occidentale a considérablement baissé. La France n’est plus un acteur majeur depuis un bon moment. La France est devenue un partenaire secondaire, on va dire. Mais, il n’y a que deux catégories de gens qui croient qu’elle est un acteur important. Les dirigeants français d’un côté, ils se gourrent, et les populations actuellement qui se disent ‘‘enfin une indépendance’’, comme si c’était la France qui, aujourd’hui, réglait tout.
On cherche un autre homme providentiel, ou un autre pays providentiel, c’est pour ça que Sankara revient régulièrement dans les discours. On espère un panafricaniste qui sortirait le Niger, le Burkina ou le Mali de son impasse.
Oui, alors effectivement il y a ce qu’on pourrait appeler un néo-panafricanisme qui s’est développé et qui est curieux. Je voyais récemment qu’on est en train de réhabiliter Sékou Touré en Guinée, et quelque part, les bras m’en tombent. Au début de Sékou Touré, j’étais enthousiaste. Quand Sékou Touré a dit non à la France, non à la communauté, j’étais enthousiaste. Et quelque part, ça me rappelle un peu l’enthousiasme qu’ont les gens vis-à-vis des régimes militaires. Quand on dit non à ce qui est considéré comme l’oppresseur, bravo ! Sauf que Sékou Touré a donné lieu après à une dictature absolument impitoyable avec des dizaines de milliers de morts, des centaines de milliers d’emprisonnés, des millions de réfugiés à l’extérieur.
Mais justement, c’est la traduction d’un certain désespoir des populations qui ne savent plus vers qui ou vers quoi se tourner.
Exactement. On est dans des formes d’impasse et il y a toujours l’ouverture pour des espoirs, on ne peut pas dire délirants, mais des espoirs portés sur des gens dont on peut penser qu’ils ne pourront pas réaliser ces espoirs.
NewsletterRecevez toute l'actualité internationale directement dans votre boite mail
Je m'abonne