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Droits des femmes: «On sera là avec elles, main dans la main afin qu'elles ne soient plus jamais seules»

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Après la Bangladaise Taslima Nasreen et la Franco-Rwandaise Scholastique Mukasonga, c'est l'Ivoirienne Marie-Paule Djegue Okri qui reçoit ce mardi à Paris le prix Simone-de-Beauvoir pour la liberté des femmes. Il y a quatre ans, cette étudiante en agronomie à Abidjan a participé à la fondation de la Ligue ivoirienne des Droits des Femmes. Aujourd'hui, elle se revendique comme afro-féministe et se bat notamment pour l'autonomie des femmes en milieu rural. Comment lutter contre une société patriarcale ? La lauréate répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

L'Ivoirienne Marie-Paule Djegue Okri.
L'Ivoirienne Marie-Paule Djegue Okri. © Benoît Raymond/RFI
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RFI : Il y a quatre ans, vous avez fondé avec d’autres femmes la Ligue ivoirienne des droits des femmes, pourquoi cette initiative ?

Marie-Paule Djegue Okri : La Ligue répond, en fait, à une mauvaise politique – désolée de le dire. En Côte d’Ivoire, les femmes sont toujours en proie à la société patriarcale, donc aux violences sexistes et sexuelles, à la non-représentativité des femmes en politique. Et donc la Ligue est une réponse à tous ces manquements.

L’un de vos principaux combats, c’est la défense des femmes victimes de viol, mais beaucoup de femmes hésitent à porter plainte. À celles qui nous écoutent, quels conseils pouvez-vous leur donner ?

Déjà, il faut comprendre que ces femmes-là vivent dans des sociétés qui les tiennent pour co-responsables de l’acte qu’elles ont subi. Déjà, la première question qu’on leur posera : « Comment vous étiez habillée ? », « Pourquoi vous étiez avec cet homme ? », et donc là, on essaie de leur faire partager la responsabilité de cet acte barbare. Donc, déjà, il faudrait qu’elles sachent qu’elles ne sont pas responsables de ce qui leur arrive, et c’est comme ça qu’elles vont prendre la pleine connaissance de devoir porter plainte. Et en portant plainte, elles aident ainsi à sortir la gangrène de la société. Moi, je leur dis là, tout de suite, que la Ligue est là pour les accompagner, peu importent les difficultés qu’elles auront à rencontrer, on sera là avec elles, main dans la main, afin qu’elles ne soient plus jamais seules.

Et il ne faut pas avoir honte d’avoir été violée…

Effectivement, il ne faut pas avoir honte. Celui qui doit avoir honte, c’est le violeur, c’est lui le criminel.

Et dans la famille, il ne faut pas que la jeune femme qui a été violée soit l’objet d’ostracisme, c’est ça ?

Effectivement, les femmes violées sont très stigmatisées parce que, malheureusement, on ne parle pas de leur dignité, on ne parle pas de leur santé physique et mentale, on ne parle que de l’honneur de la famille. C’est-à-dire qu’on oublie même la dame qui est là, qui a subi une violence et on parle de l’honneur de la famille qui a été bafoué. On s’en fout, malheureusement, de la personne en face, donc quand on arrivera à penser que les victimes sont des êtres humains, on évitera de mettre en avant l’honneur de la famille lorsqu’il y a un viol.

Là, vous en parlez au futur, ça veut dire qu’aujourd’hui, ça n’est toujours pas le cas ?

Non, malheureusement. Et donc, pour les personnes en face, le viol, c’est quelque chose d’assez banal, parce que pour eux, une femme, c’est un réceptacle qui est là pour, entre autres, accueillir un pénis. Donc même si elle a été violée, même si c’est malgré elle qu’elle a accueilli un pénis, on s’en fout, ça peut passer. Ils ne voient pas le danger et les conséquences liées à cet acte-là, parce que c’est un crime, et en plus de la santé physique, on a des IST, des infections sexuellement transmissibles, et des MST, des maladies sexuellement transmissibles, que la victime pourra contracter. Il y a une certaine banalisation de ce crime, ce qui fait que les gens en face se disent que bon, ça peut passer, c’est juste un viol et une femme peut vivre avec, peut survivre avec.

Le consentement de la femme, on s’en fiche ?

Effectivement, le consentement, c’est la chose qu’on nous nie beaucoup dans notre société.

Aujourd’hui, Marie-Paule Djegue Okri, vous êtes la lauréate du prix Simone de Beauvoir pour la liberté des femmes, parce que vous luttez contre les violences faites aux femmes, mais aussi parce que vous militez pour les femmes en milieu rural, afin qu’elles deviennent autonomes du point de vue financier. Quels sont les problèmes particuliers auxquels elles sont confrontées ?

Le problème de ces femmes-là, c’est l’accès à l’éducation. C’est quelque chose qui est vraiment très présent en milieu rural, parce que là, on a des femmes qui, dès qu’elles naissent, sont éduquées, sont amenées à penser mariage. Et donc on ne voit pas l’importance de les amener à l’école, parce qu’on se dit qu’elles vont finir mariées, et donc ces femmes-là ne sont pas scolarisées. Maintenant, les choses commencent à changer avec les revendications, les actions des ONG, et donc je me dis que, dans quelques années, on parlera de ce chiffre-là au rabais [48% des femmes ivoiriennes sont illettrées].

Marie-Paule Djegue Okri, vous êtes une actrice de la société civile, mais la politique, est-ce que vous y pensez ?

Oui, effectivement, j’y pense. La politique, c’est la gestion de la cité et moi, je prends part à la gestion de la cité, et là, je prévois de me présenter aux élections législatives de 2026.

Au sein d’un nouveau parti ou dans un parti déjà existant ?

(Rires). En indépendante. Je veux surtout être députée pour proposer de belles lois, parce que, depuis qu’on a nos députés, la seule loi qu’ils ont eue à nous proposer dernièrement, c’est une loi sur la polygamie, donc je veux aller en politique pour proposer mieux, voilà.

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