Le grand invité Afrique

Dieynaba N'Diom: «Réfléchir à des mécanismes qui permettent aux féministes de ne pas être muselées»

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En ce 8 mars 2024, Journée internationale des droits des femmes, notre invitée de ce matin lance une alerte. Il faut, dit-elle, protéger les féministes en Afrique, notamment contre les attaques sur internet et contre le cyberharcèlement. La sociologue mauritanienne Dieynaba N'Diom milite au sein du Réseau des Jeunes Féministes d'Afrique de l'Ouest francophone. Elle se bat notamment pour que les auteurs de violences et de harcèlement à l'égard des femmes soient poursuivis par la justice. En ligne de Nouakchott, elle répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

Manifestation en faveur des droits des femmes, le 8 mars 2019 à Nairobi.
Manifestation en faveur des droits des femmes, le 8 mars 2019 à Nairobi. © Yasuyoshi Chiba / AFP
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RFI : Pourquoi dites-vous que le féminisme, c'est un engagement patriotique ? 

Dieynaba N’Diom : Parce que je pense que dans une société où les règles du jeu ne sont pas équitables, où le système social ne met pas tout le monde sur un pied d'égalité, le féminisme devient un engagement. Parce qu’en fait, quand un système est patriarcal, c'est qu'il y a forcément des personnes qui sont lésées. 

Et l'un des gros problèmes que vous rencontrez dans ce que vous appelez ce système patriarcal, c'est le vide juridique, dites-vous. Dans quels domaines notamment ? 

Notamment sur les questions des violences faites aux femmes et aux filles. On a l'État mauritanien qui a mis des institutions en place pour cela. Il y a, par exemple, un observatoire de l'égalité genre au niveau de l'université de Nouakchott. Mais, pour moi, c'est un non-sens d'avoir toutes ces institutions qui sont là, mais qu’on n'ait pas un instrument juridique qui permette de réguler tout cela. 

C'est-à-dire que le pouvoir mauritanien encourage les associations de défense des femmes, mais ne fait pas voter de loi contre les auteurs de violences faites aux femmes ?

Absolument, je le dis. Pourquoi je dis ça ? Parce qu'on a des mouvements d'obédience religieuse et parce qu'on a des personnes très réfractaires à l’émancipation de la femme, qui ont fait une campagne d'intoxication sur ce projet de loi pour, au final, qu'on ait des sit-in et des marches de personnes qui n'ont par ailleurs jamais visité le projet de loi et ne savent pas de quoi ça parle. Donc le gouvernement a fait machine arrière. Alors à chaque fois que ce projet de loi revient à la surface, il y a aussi les réfractaires qui reviennent à la surface. Et je pense que, dernièrement, on a assisté à des fatwas dans des mosquées, où les gens demandaient aux musulmans de sortir manifester, parce que, tout simplement, il y a une loi qui est là, qui essaie de pervertir la société, qui essaie de pervertir nos femmes, qui ceci, cela… On a vraiment une intoxication très forte et les gens sont sortis manifester et c'est comme ça que les gens sont contre la loi, mais personne ne saurait dire ce que dit la loi. 

Et donc le pouvoir n'ose pas faire passer à l'Assemblée nationale une loi contre les auteurs de violence et de harcèlement sexuel ?

C’est comme ça que je le perçois, oui.

Vous dites, Dieynaba N’Diom, qu'il y a des pays où maintenant les féministes sont diabolisées. Pourquoi ? 

Est-ce qu'il y a un pays où les féministes ne sont pas diabolisées ? Ça, ça m'étonnerait déjà. Mais prenez la Tunisie, qui était pour nous, par exemple, un pays vraiment très en avance sur les droits des femmes,  avec les lois révolutionnaires qu’avaient, par exemple, prises Habib Bourguiba sur certaines choses. Aujourd'hui, c'est comme si on régressait en Tunisie. Moi, j'ai rencontré des amies féministes tunisiennes qui, aujourd'hui, ont du mal à prendre la parole dans des espaces féministes, à être filmées, à parler, parce que, tout simplement, elles sont confrontées à leur régime qui est de plus en plus réfractaire aux droits des femmes.

Lors de la réunion de la plate-forme mondiale Women deliver, à Kigali, vous avez appelé à une protection renforcée des féministes dans un contexte de montée des mouvements conservateurs en Afrique de l'Ouest. Est-ce que vous avez subi personnellement des menaces ces derniers temps ? 

Oui. Souvent, ce sont les militantes féministes qui sont très exposées, parce que ces militantes n'ont pas la langue dans leur poche, disent ce qu'elles pensent, le disent de manière publique et ça, ça gêne. Et, puisque ça gêne, ce sont les premières qui subissent les harcèlements, ce sont les premières qui subissent la cybercriminalité, ce sont les premières aussi qui sont soumises à des menaces de mort. Donc réfléchir à des mécanismes qui protégeraient, par exemple, ces féministes-là, pour moi, c'est un moyen aussi de permettre aux gens de parler et de ne pas être muselés. 

Et les attaques sur Internet, le cyberharcèlement, est-ce que vous arrivez à vous protéger contre cela ? 

Oui, on a beaucoup d'amies féministes et je vais parler d'un cas d'une amie féministe qui est Béninoise, qui a vraiment été attaquée, elle et son organisation – je ne vais pas prononcer son nom comme ça, peut-être qu'elle ne le souhaite pas –, sur les réseaux sociaux, mais vraiment attaquée, au vrai sens du terme, où les gens ont utilisé ses photos, utilisé les photos des membres de son organisation, fait des pubs, les ont insultées, les ont traitées de putes, n'importe quoi en fait. Mais vraiment un cyberharcèlement qui a duré un long moment. Mais nous, on a resserré les rangs, on l’a soutenue, on l’a aidée, et finalement, la féministe a porté plainte. Ça a pris le temps que ça a pris, mais au moins, il y a eu condamnation et ça, pour nous, c'est une énorme victoire. Et je sais qu'il y a beaucoup de féministes qui sont soumises à ce genre d'attaques mais qui n'arrivent pas à avoir gain de cause. Il y en a même qui ne portent pas plainte. Mais le fait que, non seulement, il y ait eu plainte, mais le fait aussi que, en plus d'une plainte, il y ait eu condamnation, pour nous, c'est une très grande victoire contre tout ce qu’est la cybercriminalité ou les attaques qui sont venues par-ci par-là – parce que, tout simplement, on apporte des sujets que les gens n'aiment pas entendre sur la place publique. 

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