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Procès Zogo au Cameroun: «Ce serait bien que le public suive les débats», estime Christophe Bobiokono

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C’est un crime qui a bouleversé tout le Cameroun. Qui a tué le journaliste Martinez Zogo en janvier 2023 à Yaoundé ? Et qui a commandité cet assassinat ? Ces deux questions sont au cœur du procès qui doit s’ouvrir ce lundi 25 mars devant le tribunal militaire de Yaoundé. Au Cameroun, Christophe Bobiokono est le directeur de publication de Kalara, le journal spécialisé dans le traitement des affaires judiciaires. En ligne de Yaoundé, il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

Un portrait du journaliste Martinez Zogo déposé pour lui rendre hommage, dans la cour de la Radio Amplitude FM, à Yaoundé, après son assassinat, le 23 janvier 2023.
Un portrait du journaliste Martinez Zogo déposé pour lui rendre hommage, dans la cour de la Radio Amplitude FM, à Yaoundé, après son assassinat, le 23 janvier 2023. © DANIEL BELOUMOU OLOMO / AFP
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RFI : Dans le box des accusés, il va y avoir dix-sept personnes, dont l’homme d’affaires Jean-Pierre Amougou Belinga et les deux anciens patrons de la DGRE, c’est-à-dire des services secrets camerounais, Maxime Eko Eko et Justin Danwe. De quoi sont-ils soupçonnés ?

Christophe Bobiokono : M. Jean-Pierre Amougou Belinga et M. Eko Eko apparaissent, au terme de l’enquête, comme de probables commanditaires de ce qui s’est passé. M. Jean-Pierre Amougou Belinga est poursuivi comme quelqu’un qui aurait aussi financé l’opération. Mais il y a une troisième personne qui est dans la peau d’un commanditaire, c’est M. Martin Savom, maire d’une localité que l’on appelle Bibey dans la région du Centre au Cameroun. C’est la dernière personne à avoir été inculpée, mais qui apparait comme ayant même été présente sur la scène du crime, au moment où l’homme de médias a été tué.

L’un des principaux accusés, c’est Justin Danwe, l’ex-numéro 2 des services secrets (DGRE). Il serait passé aux aveux, il aurait dit ne jamais avoir eu l’intention de tuer Martinez Zogo, « il fallait lui faire peur » aurait-il dit. Est-ce que c’est crédible ?

C’est difficile que ce soit crédible, dans la mesure où M. Danwe est finalement la pièce maîtresse de tout : il est au contact de toutes les personnes qui se sont retrouvées impliquées dans la filature, dans l’enlèvement, dans le traitement, voire l’assassinat de la personne, donc c’est lui qui organise finalement tout. Je le dis sur la base de ses propres déclarations et sur les témoignages de certains des mis en cause.

Quand Justin Danwe dit qu’il n’avait pas du tout l’intention de tuer Martinez Zogo, est-ce que vous le croyez ? Ou est-ce que vous ne le croyez pas ?

Disons que, si on se base sur l’ordonnance de renvoi, donc le rapport d’instruction du juge qui les renvoie en jugement, on peut dire que cette déclaration-là est douteuse. Dans la mesure où c’est bien lui qui renvoie sur les lieux du crime les trois personnes qui sont supposées avoir donné la mort à Martinez Zogo.

Comme l’homme d’affaires Jean-Pierre Amougou Belinga est réputé avoir été un proche de l’actuel ministre de la Justice, Laurent Esso, la presse s’est étonnée, l’année dernière, que ce ministre n’ait jamais été entendu par un juge. Qu’est-ce que vous en pensez ?

Sur la base des informations que nous avons vues, le nom du ministre de la Justice n’est pas ressorti comme un acteur des actes de filature, d’enlèvement et d’assassinat ou de torture. Donc je trouve tout à fait normal que le ministre de la Justice n’ait pas été inquiété. Mais je peux vous dire que l’influence du ministre s’est fait grandement sentir au début de l’enquête, M. Amougou Belinga a bénéficié d’un traitement de faveur. D’ailleurs, il n’est interpellé que trois semaines après l’enlèvement de Martinez Zogo. Ce qui nous paraît quand même énorme ! Le président de la République a dû recourir à une commission mixte police-gendarmerie pour mettre entre parenthèse l’institution judiciaire telle qu’elle fonctionne normalement pour mener l’enquête policière. C’est dire si, depuis le sommet de l’État, on savait que l’influence du ministre de la Justice pouvait fausser certaines choses.

Certains disent que l’assassinat de Martinez Zogo est la manifestation la plus spectaculaire et la plus tragique de la lutte des clans qui se durcit actuellement au sommet de l’État camerounais. Qu’en pensez-vous ?

Je pense que c’est vrai. Je crois avoir lu dans les documents que j’ai consultés que M. Eko Eko, qui était patron de la DGRE à l’époque des faits, a lui-même souligné ce contexte-là, en disant qu’il y avait des clans qui se battaient. En pointant de manière très claire des clans où on trouverait, d’une part, peut-être des personnes de la présidence de la République et, d’autre part, peut-être le ministre de la Justice et le ministre des Finances, pour ne pas parler de tous les autres…

Plusieurs avocats, dont Charles Tchoungang, le défenseur de M. Amougou Belinga, demandent que le procès soit retransmis en direct à la radio et à la télévision. Est-ce qu’il y a un précédent et qu’en pensez-vous ?

Ici, au Cameroun, je ne me souviens pas… Je suis chroniqueur judiciaire depuis une vingtaine d’années, je n’ai pas couvert de procès qui a été retransmis comme cela. Ce serait bien que les débats se fassent de façon à ce que le public qui veut les suivre puisse les suivre. Il faut savoir que, lors de l’enquête menée par la commission mixte police-gendarmerie, il y a bien des choses qui sont apparues dans cette enquête, mais qui semblent avoir disparu en cours de route. Par exemple, on découvre aujourd’hui qu’il y a eu, lors des saisies pratiquées ici et là, des téléphones qui ont été saisis, mais qui n’ont pas été soumis à l’expertise judiciaire. Cela fait qu’il y a un maquillage des faits par rapport à la procédure.

Pensez-vous que, si ce procès est retransmis en direct à la radio et à la télévision, il y aura plus de transparence et moins de pression sur les juges ?

Oui, cela peut participer à limiter la pression sur les juges. Dans un environnement opaque, il y a toujours plus de possibilités de faire pression parce que le public n’aura pas suivi ce qu’il s’est dit pendant les débats.

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