Perte de la majorité absolue de l'ANC: «C'est un moment très incertain pour l'Afrique du Sud»
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Avec quel autre parti l'ANC va-t-il faire alliance pour gouverner l'Afrique du Sud ? Dans 15 jours, Cyril Ramaphosa sera-t-il encore le président de la nation arc-en-ciel ? Au lendemain des élections historiques qui ont vu l'ANC perdre la majorité absolue à l'Assemblée nationale, tous les scénarios sont possibles en Afrique du Sud. Liesl Louw-Vaudran est conseillère spéciale à International Crisis Group. En ligne de Johannesburg, elle répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

RFI : Est-ce que, pour l'ANC, ces élections sont une grave défaite ou juste un avertissement ?
Liesl Louw-Vaudran : Non, c'est une défaite et même le secrétaire général du parti, Fikile Mbalula, a admis que c'est une défaite pour l’ANC, parce qu’arrivé à 40%, contre 57% en 2019, en fait, c'est vraiment une défaite pour l’ANC.
Pour des raisons essentiellement économiques ?
Oui, pour des raisons économiques, parce que nous savons que le chômage est extrêmement élevé. Il y a la pauvreté, l’inégalité, et aussi les délestages ces derniers mois qui ont eu un impact sur la vie quotidienne de tous les Sud-africains, la corruption… Donc c’est vraiment pour les questions économiques, mais il faut dire que le phénomène Jacob Zuma et que son parti uMkhonto we Sizwe (MK) qui finalement a pris 15%, ça a eu aussi un grand impact sur le score de l’ANC finalement, donc le MK a surpris tout le monde.
Alors dans leur majeure partie, les électeurs qui ont abandonné l'ANC ont voté pour le parti MK de Jacob Zuma. Est-ce que c'est pour des raisons politiques ou économiques, ou est-ce que c'est aussi pour des raisons de solidarité ethnique entre Zoulous ?
Oui pour plusieurs raisons. Si on regarde par exemple d’où viennent ces électeurs, c’est majoritairement dans le KwaZulu-Natal, c’est vrai qu’il y a beaucoup d’électeurs de cette ethnie zoulou d’où vient Jacob Zuma bien sûr. Donc la base est toujours au KwaZulu-Natal, mais ce sont les mêmes électeurs de l’ANC qui ont voté cette fois-ci pour Jacob Zuma, ce sont des gens qui étaient mécontents de la façon dont l’ANC de Cyril Ramaphosa, ces dernières années, a géré. Il y a le mécontentement contre l’ANC, ça c’est clair.
Alors l'ANC a perdu beaucoup de voix mais reste de très loin le premier parti dans la nouvelle Assemblée nationale. Alors s'il conclut un accord, est-ce que l'ANC le fera plutôt avec les gens de droite de l'Alliance démocratique de Helen Zille ou plutôt avec les gens de la gauche radicale de l’EFF de Julius Malema ?
Ça, c'est la grande question, et ça va être déterminant pour la direction du pays dans les 5 prochaines années, parce que l'Alliance démocratique, bien sûr, est libérale économiquement. Les milieux d'affaires vont accepter cette option beaucoup plus que par exemple l'alliance avec l’EFF. Ce qui est peut-être moins sûr, c'est une alliance avec le MK de Jacob Zuma, parce que le MK a indiqué dans certaines de ses déclarations qu’il n’est prêt à travailler avec l'ANC que si Cyril Ramaphosa quitte le pouvoir. Donc ça c'est moins sûr, mais c'est vrai qu’il y a vraiment beaucoup, beaucoup, de différentes possibilités et ça va être extrêmement important de savoir comment une coalition dans l'avenir va pouvoir régler ce problème de chômage, qui est vraiment la question numéro un, 32% de chômage selon le gouvernement, mais c’est beaucoup, beaucoup plus élevé parmi les jeunes par exemple. Et donc [pour la classe politique sud-africaine] c'est une opportunité de revoir sa copie et de voir toutes les politiques économiques pour voir comment régler les problèmes qui sont vraiment extrêmement graves pour l’Afrique du Sud.
La nouvelle Assemblée nationale doit élire le président de la République dans les 15 jours. Est-ce que ce président sera encore Cyril Ramaphosa ?
Probablement, parce que la question a été posée à plusieurs reprises aux cadres de l’ANC, qui ont dit que, pour l'instant, il n’est pas question que Ramaphosa quitte sa fonction, il est dans son deuxième mandat, donc il n'y a aucune raison. Mais nous savons aussi que l’ANC a la tradition de démettre un président. L’ANC a fait ça avec Thabo Mbeki à l'époque, puis avec Jacob Zuma, avant la fin de leur mandat. Donc ce n’est pas impossible dans les prochains jours.
Mais est-ce qu’il y a au sein de l’ANC une alternative à Cyril Ramaphosa ?
C’est ça la question, c'est qu’il n'y a pas une unanimité autour du vice-président Paul Mashatile, donc il y a d'autres noms qui émergent éventuellement pour remplacer Ramaphosa. Mais pour l'instant, c'est l'homme le plus puissant dans l'ANC. Donc pour l'instant, nous pensons qu’il n'y a pas cette possibilité. Mais tout reste possible. C'est vraiment un moment très incertain pour l’Afrique du Sud.
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