Sahel central: «Quinze millions de personnes comptent sur l'aide humanitaire pour survivre»
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Dans les trois pays du Sahel central (le Mali, le Niger et le Burkina Faso), la situation humanitaire ne cesse de se dégrader, affirme Ocha, le Bureau de l’ONU pour la coordination des affaires humanitaires. Or, à ce jour, les bailleurs de fonds n'ont versé que 12% des sommes qu'ils avaient promises pour venir au secours des quelque 15 millions de personnes en détresse. Entretien avec Charles Bernimolin, le chef du Bureau régional d'Ocha pour l'Afrique de l'Ouest et l'Afrique centrale.

RFI : Dans les trois pays du Sahel central, est-ce que la situation humanitaire a tendance à s'améliorer ?
Charles Bernimolin : Non, le Sahel central est confronté à une crise sécuritaire, humanitaire et climatique qui ne cesse de se dégrader. 80% des déplacés sont des femmes et des enfants. Et donc on estime qu’au Sahel central, sur le Mali, le Burkina Faso et l'ouest du Niger, on a à peu près 15 millions de personnes, ce qui est énorme, qui ont des besoins humanitaires, et qui ont besoin tout simplement d'assistance pour vivre, pour survivre.
Donc, sur les quelque 80 millions d'habitants dans ces trois pays du Sahel, il y en a 15 millions qui sont en situation de détresse ?
Oui, c'est tout à fait ça, ce sont 15 millions de personnes qui comptent sur l'aide humanitaire pour survivre.
Alors dans vos comptes rendus d'activité, vous déplorez des difficultés d'accès à certaines zones du Sahel central. Est-ce à cause de l’insécurité ou d'éventuels blocages de la part des États sahéliens ?
Les difficultés d'accès sont multiples, il n'y a pas une seule cause. Il y a d'abord la difficulté à atteindre les personnes touchées, plus de 200 humanitaires ont été récemment tués ou blessés dans le Sahel ces dernières années. Il y a aussi des difficultés d'ordre bureaucratique, des taxes, des autorisations, il y a des restrictions et des limitations de mouvement qui retardent l'aide humanitaire. Mais il y a aussi un élément très important que je voudrais souligner, il y a la prolifération, et c'est relativement récent, de messages de haine, de désinformation, qui compromettent la perception de la neutralité et de l'impartialité de l'indépendance des acteurs humanitaires.
Et ces messages de haine sur les réseaux sociaux, comment vous les combattez ? Vous demandez aux autorités des trois pays de sévir contre les auteurs de ces messages ?
Écoutez, je pense que la meilleure façon de contredire ces messages est d'avoir un dialogue. Bien sûr, nous avons un dialogue avec les autorités, nous avons un dialogue avec les communautés locales. Le tout est d'être le plus transparent sur ce que nous faisons et d'avoir une approche novatrice, c'est-à-dire de travailler avec les ONG locales, de travailler avec les populations. Il y a plusieurs années, l'aide humanitaire était essentiellement une aide apportée sans trop demander quoi que ce soit aux populations sur le terrain. Maintenant, par la prise en compte de leurs besoins, en travaillant avec les personnes dans le besoin, on arrive à créer une communauté en collant à leur demande. En étant transparent, on arrive à faire surgir la vérité plutôt que de demander de sévir contre des réseaux sociaux, ce qui n'est pas possible de notre côté.
Alors au Mali, les casques Bleus de l'ONU sont tous partis depuis cinq mois, mais vous, Ocha, qui êtes une autre organisation de l'ONU, vous restez au Mali. Où en sont vos rapports avec les autorités de Bamako ?
Oui, tout à fait, Ocha est un bureau du secrétaire général des Nations unies et donc nous travaillons, nous coopérons avec les États membres, dont le Mali. Donc en tant qu'organisation humanitaire, Ocha ne fait pas partie des discussions politiques. Une coordination efficace avec les autorités, ce qui inclut les militaires, permet de préserver l'espace humanitaire et donc, avant toute chose, il ne peut pas y avoir politisation de l'aide humanitaire si nous nous basons sur le droit international et sur les principes humanitaires.
Voulez-vous dire que les rapports sont plus fluides avec les autorités de Bamako depuis que les casques Bleus de la Minusma sont partis ?
Les rapports n'ont pas changé dans ce sens que nous avons toujours été en dialogue avec les autorités en ce qui concerne l'assistance humanitaire. Ce qui a changé, c'est que nous avons bénéficié, ces dernières années, de l'assistance logistique de la Minusma. Évidemment, le départ de la Minusma est un défi logistique puisque nous pouvions bénéficier d'une certaine aide logistique. Mais en ce qui concerne le dialogue avec les États membres, avec le gouvernement, c'est un dialogue que nous avons toujours eu et c'est un dialogue que nous continuons.
Et qui n'a pas changé depuis le départ des casques Bleus ?
Non.
Alors, d'après vos comptes rendus d'activité, vous n'avez reçu pour l'Afrique de l'Ouest et l'Afrique centrale que 12% des sommes promises par les bailleurs de fonds. Or les trois pays du Sahel central sont dirigés par des régimes putschistes, est-ce que ce n'est pas la raison pour laquelle certains bailleurs occidentaux ne donnent pas autant que vous le voudriez ?
Bon, je pense que cette question, elle doit être posée aux bailleurs de fonds. Nous, en tant qu’humanitaire, nous identifions les besoins humanitaires pour des milliers d'hommes, de femmes et d'enfants qui sont dans le besoin d'une assistance vitale. Nous faisons face à ces besoins pour leur survie. Il ne peut y avoir en aucun cas politisation de l'aide humanitaire. L'aide humanitaire ne peut être et ne sera jamais dépendante d'une analyse politique des causes et des conséquences.
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