Filippo Grandi (HCR): la crise humanitaire au Soudan est «gravissime»
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Après le séisme politique du dimanche 9 juin 2024 en Europe, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, réagit. Et c'est sur RFI. En effet, le mois dernier, le patron du HCR, Filippo Grandi, a publiquement soutenu l'adoption par l'Union européenne d'un pacte sur la migration et l'asile. Mais aujourd'hui, il est inquiet pour l'avenir de celui-ci. Il s'exprime à l'occasion de la sortie, ce 13 juin 2024, du rapport annuel du HCR. En ligne de Genève, l'Italien évoque d'abord, au micro de Christophe Boisbouvier, les très graves crises du Soudan et de la République démocratique du Congo (RDC).
RFI : Est-ce qu'on peut dire que le Soudan est le théâtre de la plus grave crise de déplacements dans le monde à l'heure actuelle ?
Filippo Grandi : C'est une compétition difficile à juger, mais certainement, la violence de la guerre, l'impact sur le civil, le nombre de personnes qui ont dû fuir de leur maison - 9 millions et plus - qualifient certainement cette situation malheureusement comme une crise gravissime, aussi du point de vue du déplacement.
Et vous dites que cette crise est presque invisible aux yeux du monde ?
Elle l'est malgré tous les efforts que nous faisons, beaucoup d'entre nous, pour essayer de lui donner de la visibilité. Malheureusement, le fait qu’il y a eu l'Ukraine, maintenant Gaza - qui naturellement et justement attire beaucoup l'attention internationale - fait en sorte que cette crise est très marginalisée et cela veut dire aussi que les ressources que nous avons à disposition restent extrêmement inadéquates et limitées. Et il n'y a pas un seul segment de cette opération qui arrive à 20% des financements nécessaires.
Et pourquoi dites-vous que les Européens devraient s'intéresser tout particulièrement à cette crise ?
Parce qu’on a déjà vu arriver en Afrique du Nord, en Libye, en Tunisie, mais également à travers la Méditerranée, dans l'Italie du Sud, un nombre croissant de réfugiés soudanais qui arrivent directement du Soudan en guerre ou des pays voisins où ils ne reçoivent pas suffisamment d'assistance.
Autre région d'Afrique où des millions de personnes doivent quitter leur maison, c'est l'Est de la République démocratique du Congo, au Nord-Kivu. Je crois qu'il y a actuellement quelques deux millions et demi de déplacés. Pourquoi tirez-vous le signal d'alarme sur le sort fait aux femmes ?
C'est terrible : le viol est systématiquement utilisé comme instrument de guerre et on n'a pas encore trouvé de solution à ce conflit.
Autre tragédie au Nord-Kivu : le bombardement de certains sites de déplacés. Qui sont les responsables de ces tirs et de ces bombardements ? Des groupes pro-gouvernementaux ou des groupes rebelles ?
Des groupes rebelles, essentiellement. Bien sûr, l'action du gouvernement parfois est musclée et cette action militaire forte peut résoudre de façon temporaire un problème du point de vue militaire. Mais ça ne résout pas la situation. Ça rend la population locale de plus en plus méfiante par rapport aux groupes de tous bords, qu'ils soient pro-gouvernementaux ou pas, et ça rend les solutions encore plus difficiles.
Pour l'accueil des réfugiés africains en Europe, vous vous êtes mobilisé ces dernières années en faveur du Pacte sur la migration et l'asile, qui a été soutenu par Ursula von der Leyen et qui a été adopté il y a un mois par l’Union européenne (UE). Mais plusieurs partis, comme en France le Rassemblement national, s'y sont opposés. Alors, après la poussée de ce parti et d'autres partis d'extrême droite aux élections européennes du 9 juin, est-ce que vous ne craignez pas que ce pacte ne soit remis en cause ?
J'espère que non, parce que, vous savez, le pacte n'est pas parfait. Mais c'est le seul instrument que l'Europe s’est donnée ces dernières années pour essayer de gérer d'une manière plus partagée et plus efficace ces flux de personnes qui arrivent. Donc, je comprends qu'il y a beaucoup d’hésitation. J'ai été beaucoup critiqué moi-même pour avoir soutenu publiquement le pacte. Il y a des objections de tous côtés, ce n’est pas seulement ceux qui sont plus anti-réfugiés ou anti-migration. Il y a ceux qui sont très pro-réfugiés, les pro-migration, qui pensent que le pacte n'est pas suffisamment généreux dans ce sens… La vérité, c'est que, justement, le fait qu'il soit attaqué des deux côtés démontre que le pacte est un compromis. Donc, je pense qu'il faut continuer à le soutenir et j'espère que les nouvelles institutions européennes, qui vont être établies dans les prochains mois, vont maintenir l'engagement de l'Europe vis-à-vis du seul instrument possible pour faire avancer les choses dans ce domaine tellement complexe.
Vous espérez que ce pacte ne sera pas remis en cause, mais vous semblez inquiet tout de même ?
Je suis inquiet. Bien entendu, on a vu le résultat des élections [du 9 juin], on a vu que, dans beaucoup de pays, les forces qui sont plutôt, comme vous l'avez dit, contraires à ce type d'accord, ont gagné de l'espace politique, donc il faudra bien naviguer. Mais je pense que le travail qui a été fait par beaucoup de pays, même d'orientation différente du point de vue de la migration des réfugiés, est un travail très important. Ce sera aussi difficile de retourner trop en arrière. Mais il faut rester vigilant et il faut encourager les États membres et la Commission à poursuivre dans cette action de préparation. N'oubliez pas qu’on est dans la phase préparatoire : le pacte commence à être mis en œuvre dans deux ans seulement.
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