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Jean-Marie Guillon: «Le débarquement de Provence n'est pas secondaire»

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C’était il y a tout juste 80 ans. Les troupes américaines, françaises et coloniales débarquaient en Provence pour libérer la France et l’Europe du nazisme. Un second débarquement, deux mois après celui de Normandie. C’est sur les plages du Var, à partir du 15 août 1944, que débarquèrent 400 000 soldats, dont une majorité de troupes françaises, des soldats venant notamment d’Afrique. Des stèles rendant hommage à ces tirailleurs africains ont été érigées dans plusieurs cimetières du département du Var, et en particulier à La Farlède. C’est dans ce village que Pierre Firtion a rencontré l’historien Jean-Marie Guillon, spécialiste du débarquement de Provence.

Photo prise en août 1944 de troupes alliés débarquant à Saint-Tropez.
Photo prise en août 1944 de troupes alliés débarquant à Saint-Tropez. AFP PHOTO
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RFI : Jean-Marie Guillon, où sommes-nous là ?

Jean-Marie Guillon : Alors, nous sommes à La Farlède, c'est-à-dire au début de ce qui, en 1944, était le camp retranché de Toulon. C'était la première ligne de défense et c'était une ligne de défense extrêmement bien défendue par les Allemands, qui avaient posté des batteries mobiles sur les flancs des collines qui nous entourent. Et ces batteries rendaient extrêmement difficile la progression des tirailleurs sénégalais qui devaient engager la bataille de Toulon. Ce secteur, c'était vraiment une clé de la prise de Toulon. C'est la principale voie d'accès de Toulon par l'Est. Et ce combat a fait parmi les troupes sénégalaises, comme on peut le voir sur la stèle, de très nombreuses victimes. C'était le sixième régiment de tirailleurs sénégalais.

Donc là, on voit sur la stèle « la ville de La Farlède reconnaissante » à ses glorieux libérateurs. Donc il y a la date, il y a les dates des combats ici pour la prise de La Farlède. Donc on est entre le 21 et le 23 août ?

C’est ça, les troupes françaises du Général de Lattre ont pris le relais des Américains le 19 août. Ce sont les Américains qui ont débarqué le 15 août et les Français ont débarqué à partir du 16 août, et aux Français était dévolu la bataille de Toulon, qui est vraiment la grande bataille de cette campagne de Provence avec la bataille de Marseille. Donc, le 19 août, le relais est pris. La bataille de Toulon est engagée le 20 août. Et là, nous voyons qu'à La Farlède, Solliès-Pont et La Farlède sont des communes toutes voisines. On voit que les combats ont été rudes parce que cela a duré trois jours avec une progression difficile.

Les tirailleurs sénégalais étaient appuyés par des blindés du régiment de chasseurs d'Afrique qui, eux, avaient pu s'avancer au prix de pertes assez lourdes, qui étaient engagés d'ailleurs et qui s'étaient isolés dans La Valette et vraiment dans les faubourgs de Toulon. Mais les tirailleurs sénégalais qui devaient leur venir en appui d'infanterie avaient beaucoup de mal à les rejoindre. Donc les combats étaient très, très, très difficiles et coûteux en hommes.

Et donc là, on lit des noms de tirailleurs sénégalais, Savadogo, Alfa Mamadou, Valy Camara…

Oui, on a plus d'une douzaine de tirailleurs qui sont sur cette stèle, mais nous irions à Solliès-Pont, dans le village à côté, nous avons également une stèle identique au monument aux morts.

Ce que l'on voit, Jean-Marie Guillon, c'est qu'il y a quand même, même s'ils sont peu nombreux en Provence, il y a tout de même des sites comme celui-là, comme cette stèle-là, qui rappellent la mémoire de ces combats qui rappellent ce débarquement et qui rappellent le rôle joué par les soldats africains.

Tout à fait. J'ai fait le recensement de ces stèles pour le département du Var et il y en a un certain nombre. Ici, nous sommes à La Farlède, dans la commune voisine de Solliès-Pont, c'est exactement la même chose. Dans l’autre commune voisine, Solliès-Ville, c'est pareil. Non loin d’ici, nous avons un hameau qui s'appelle La Pauline. On rappelle que deux soldats sénégalais ont été tués au moment de la libération et tout ça s'est fait très rapidement. Après, je veux dire, ce souvenir n'a pas été effacé.

On a pu croire il y a quelques années que tout cela était oublié. Cela m'a toujours choqué parce que dans la région, on ne l'a pas oublié. Et cela fait bien longtemps d'ailleurs, très précisément à partir des années 1980, à partir du moment où nous avons eu une montée de l'extrême droite en France, nous nous sommes, nous historiens, comme les autorités d'ailleurs, et les autorités de l'État en particulier. Nous, nous sommes, les uns et les autres, toujours attachés à rappeler la participation de ces troupes dites « indigènes » à notre propre libération.

On a tout de même l'impression que ce débarquement, quand même, est un peu un débarquement qui passe au second plan, qui intervient après le débarquement de Normandie qui a été un peu oublié. C'est un terme que l'on entend souvent.

Oui effectivement, c'est vrai que c'est un débarquement qui est relégué un peu, un peu même beaucoup à l'arrière-plan. Il n'y a pas de chance en fin de compte, puisqu'il n'est que second par rapport au débarquement de Normandie dont il n'est pas nécessaire de souligner l'importance tout à fait considérable. Le problème n'est pas là.

Le problème, c'est que même s’il est second, comme je me plais à le dire, il n'est pas secondaire ce débarquement : il a permis une libération très rapide des deux tiers du pays. Il a permis le contrôle de ports indispensables à l'armée libératrice et il a attesté de la participation des troupes françaises à la libération de leur pays. Donc ce n'est pas du tout négligeable.

Les batailles de Toulon et de Marseille, elles n'ont pas de chance non plus parce qu'elles se déroulent en même temps que la libération de Paris. Alors, on parle de la libération de Paris et c'est normal d'un point de vue politique et symbolique. Mais d'un point de vue militaire, les batailles importantes, ce n'est pas Paris, c'est Marseille et Toulon.

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