Soudan: à El-Facher, «Hemedti veut marquer une suprématie sur le Darfour»
Publié le :
Au Soudan, l'épicentre du conflit est en ce moment à El-Facher, la capitale du Darfour Nord, où la bataille fait rage depuis une semaine. « Des centaines de milliers de civils sont coincés dans la ville assiégée et leurs vies sont en danger », affirme la sous-secrétaire générale de l'ONU pour l'Afrique, Martha Pobee. Pourquoi les rebelles du général Hemedti veulent absolument s'emparer de cette ville ? Et pourquoi les Américains n'arrivent pas à calmer le jeu ? Peut-être à cause de la présidentielle à venir aux États-Unis, estime Roland Marchal, chercheur à Sciences Po Paris.

RFI : Pourquoi cette reprise de violents combats à El-Facher, la capitale du Darfour Nord ?
D'une certaine façon, c'est devenu un abcès de fixation, et une victoire des forces du général Hemedti le rendrait absolument incontournable pour toute négociation sur l'avenir politique du pays et pas simplement sur l'issue militaire du conflit.
El-Facher, est bien la seule grande ville du Darfour qui échappe actuellement au contrôle du général Hemedti ?
Tout à fait. C'est la capitale historique du Darfour avant qu'il ne soit divisé à la suite du conflit des années 2000. C'est également une zone extrêmement importante puisque c'est là qu’est rassemblé, dans des camps de déplacés et dans les villes et villages environnants d’El-Facher, l'essentiel de l'ethnie zagawa qui fournit les combattants pour les groupes darfouriens alliés au général al-Burhan
Et justement, en face du général Hemedti, il y a un chef de guerre zagawa très expérimenté en la personne de Minni Minnawi ?
Oui, fort, doté de soutien et d'appui également libyen, et pas simplement du côté de l'armée soudanaise. Le rapport de force entre les deux, on le voit, est difficile puisque ces affrontements ont commencé il y a pratiquement quatre mois maintenant, et malgré les pressions internationales, ils se poursuivent. Donc, on sent bien que ce qui est en jeu pour Hemedti, c'est de marquer une suprématie sur le Darfour. Ce qui lui permettrait d'avancer également militairement dans les provinces voisines du Kordofan et peut-être à Khartoum où il a des difficultés. Et du point de vue des groupes rebelles zagawa, qui ont signé un accord de paix en octobre 2020, c'est une façon de montrer qu'ils continuent à exister politiquement.
Mini Minnawi n'a pas encore perdu, c’est cela ?
Il n'a pas perdu. Il y a les forces du Mouvement pour la Justice et l'Égalité de Djibril Ibrahim qui sont également là. Cela représente un potentiel militaire tout à fait réel, qui aujourd'hui tient tête aux Forces de Soutien Rapide, tout à fait.
Malgré l'embargo décrété par l'ONU sur les armes à destination du Darfour, est-ce que les deux belligérants ne viennent pas de recevoir des nouvelles armes ?
Oui, depuis des mois. D'un côté, le soutien militaire des Émirats arabes unis aux Forces de Soutien Rapide n'a pas cessé, bien au contraire. Et de l'autre côté, Russes, Iraniens, mais aussi Biélorusses, Turcs, et cetera alimentent l'armée soudanaise. Donc, ça traduit d'abord que l'influence américaine, dans la gestion et dans le règlement de ce conflit, est perçue par tous les acteurs comme étant tout à fait minimal, que chacun sait que le Conseil de sécurité est divisé et qu'à partir de ce moment-là, le commerce des armes peut aller bon train et que les affaires vont bien pour tous ces vendeurs d'armes.
Pourquoi les Américains ne font pas pression sur ces puissances régionales pour qu’elles cessent leurs livraisons d'armes aux belligérants ?
Alors, je crois d'abord que les Américains se sont saisis du problème, avec les Saoudiens, au début des négociations de Djeddah. Mais ils veulent obtenir un cessez-le-feu, un accès humanitaire, sans aucune négociation politique. Or, beaucoup d'experts, beaucoup aussi d'envoyés spéciaux européens, pensent qu’il serait nécessaire de lancer un processus politique de façon à aboutir à un cessez-le-feu, comme une mesure de confiance dans l'évolution de ce processus politique. Et là, les Américains vont au plus pressé, je dirais fondamentalement, parce qu'ils veulent éviter que le Soudan fasse la Une des médias internationaux, au moment des élections aux États-Unis. Ce qui évidemment permettrait aux uns et aux autres de tirer sur le camp démocrate, en expliquant qu'il est responsable de la prolongation de ce conflit soudanais.
Voulez-vous dire que Joe Biden et Kamala Harris ne prennent aucune initiative dans cette région du globe de peur de s'exposer à des critiques de Donald Trump ?
Je crois que ce qui est pire… Peut-être que mon sentiment est outré, mais je crois que, pour les dirigeants américains, le Soudan et le Darfour renvoient à ce qui s'est passé au début des années 2000 où, en 2004 et en 2006, pour l’élection de George W Bush à un second mandat et pour les élections de « mid-term », la question soudanaise a été une question importante de mobilisation dans les universités américaines, avec donc des médias portant la critique sur la politique étrangère américaine. Et je crois que, de la même façon, une bonne partie de la diplomatie américaine aujourd'hui vise à empêcher cette situation, en mettant l'accent sur la priorité absolue à l'aide humanitaire, aux dépens d'un processus politique.
À lire aussiSoudan: le président américain Joe Biden appelle aux négociations et menace de «sanctions supplémentaires»
NewsletterRecevez toute l'actualité internationale directement dans votre boite mail
Je m'abonne