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Soudan: «La prise d’El-Fasher est une victoire militaire, mais l'après est une défaite politique pour les FSR», estime Suliman Baldo

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Alors que les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR) ont annoncé « la prise de la ville d'El-Fasher », cette « victoire militaire pour le général Hemedti » serait en réalité « une défaite politique », affirme notre invité, le professeur soudanais Suliman Baldo. Il est également directeur exécutif de l'Observatoire de la Transparence et des Politiques au Soudan. Y a-t-il un risque de génocide au Darfour ? Va-t-on vers une partition est/ouest du Soudan ? En ligne de Nairobi, il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

Suliman Baldo est le directeur exécutif de Sudan Transparency and Policy Tracker, l'Observatoire de la Transparence et des Politiques au Soudan.
Suliman Baldo est le directeur exécutif de Sudan Transparency and Policy Tracker, l'Observatoire de la Transparence et des Politiques au Soudan. UN Photo/Sylvain Liechti
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RFI : Suliman Baldo, comment expliquez-vous la victoire militaire des FSR du général Hemedti à el-Fasher, six mois seulement après leur défaite à Khartoum ?

Suliman Baldo : Bien sûr, les Forces de soutien rapide avaient mis un siège très strict autour d’el-Fasher pour plus de 18 mois, c'est-à-dire en interdisant même l'arrivée de denrées alimentaires ou bien les livraisons médicales pour les hôpitaux locaux. Et ils avaient bombardé la ville durant toute cette période. Et ils ont aussi utilisé des drones contre el-Fasher.

Et à quoi ont servi ces drones très sophistiqués et de fabrication chinoise ?

Il y a plusieurs mois que les Forces de soutien rapide ont acquis bien sûr des drones sophistiqués d'origine chinoise, mais aussi des moyens de défense aérienne qui ont empêché l'armée de l'air soudanaise de ravitailler sa garnison à el-Fasher.

Est-ce que les Émirats arabes unis et le Tchad ont joué un rôle dans cette victoire militaire des FSR ?

Les Émirats sont, disons, les fournisseurs du matériel de guerre de toutes sortes pour les Forces de soutien rapide. Et donc, ils ont joué un rôle principal et de taille. Le Tchad est seulement un instrument, disons, dans les mains des Émirats arabes unis, comme c'est le cas de la Libye de Haftar, en particulier pour les Forces de soutien rapide.

Depuis une semaine, de multiples témoignages décrivent les atrocités commises par les FSR contre les civils appartenant à des communautés non-arabes, notamment la communauté Zaghawa. Est-ce qu'on est en train d'assister à la réplique d'el-Geneina, où 15 000 Masalits avaient été massacrés par les FSR, en juin 2023 ?

Je ne crois pas que les victimes qui ont été liquidées par les Forces de soutien rapide à el-Fasher étaient toutes des Zaghawas. Le comportement des Forces de soutien rapide est totalement hors contrôle de leurs commandants. Et donc, lorsque les FSR ont pris la ville, l'armée et les forces conjointes alliées à l'armée avaient déjà pu se retirer de la ville, laissant la population civile derrière elles. Une population civile qui compte un quart de million de personnes. Et donc il y a eu un ciblage des Zaghawas, mais c'était aussi sans discrimination. Parfois, c’étaient des membres de différents groupes ethniques. C'était surtout une revanche sur les populations d’el-Fasher, qui avaient résisté à l'invasion de la ville pendant le siège de la ville.

Certains observateurs se demandent si la situation n'est pas comparable aux premières heures du génocide au Rwanda, en 1994 ?

Ce qui s'est passé est horrible et c'est une forme de crime commis d'une manière systématique. Mais je ne crois pas qu'il y ait eu l'intention d'éliminer une composante de la population sur des bases ethniques ou autres.

Le général Hemedti affirme avoir fait arrêter plusieurs de ses combattants soupçonnés d'exactions et avoir ouvert une commission d'enquête. Est-ce qu'il cherche à échapper éventuellement à ses responsabilités ?

Je crois que c'est une réaction à la condamnation globale, partout dans le monde, mais aussi une réaction, au sein de la population locale, face aux tueries qui ont eu lieu à el-Fasher. Je ne pense pas que les Forces de soutien rapide s'attendaient à cette réaction collective de l'opinion mondiale et locale. Et l'annonce de ces enquêtes est une façon d'essayer de contenir les dégâts que, disons, les réactions à ces tueries ont créés. Bien sûr, la prise d’el-Fasher est certainement une victoire militaire, mais ce qui s'est passé après représente une défaite politique totale et une défaite morale pour les Forces de soutien rapide. C’est à cause de ces atrocités, dont les Forces de soutien rapide sont devenues très spécialisées dans la commission de ces crimes de guerre et crimes contre l'humanité.

Est-ce qu'après la partition du Soudan du Sud en 2011, il ne va pas y avoir une seconde partition, du Soudan de l'Ouest cette fois-ci ?

Il y aura une partition de fait, dans la mesure où il y aura deux gouvernements rivaux qui contrôlent chacun une moitié du pays. Mais je ne pense pas qu'il y aura sécession du Darfour ou bien de l'ouest du Soudan avec le reste du pays. Ça va être, disons, une situation comme en Libye, où il y a deux administrations qui contrôlent deux portions de territoire, mais il n'y aura pas une partition du pays.

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