Le grand invité international

Rafael Mariano Grossi (AIEA): «Le programme nucléaire iranien a subi d'énormes dégâts»

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Le directeur de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), Rafael Mariano Grossi était l'invité international de la matinale de RFI ce 26 juin. Après la guerre entre Israël et l'Iran, il livre une première évaluation des dégâts causés sur les installations nucléaires. Rafael Mariano Grossi demande l'accès aux sites et la poursuite de la coopération entre l'agence et l'Iran.

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Rafael Mariano Grossi
Directeur général de l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique), dans les studios de RFI, le 26 juin 2025.
Rafael Mariano Grossi Directeur général de l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique), dans les studios de RFI, le 26 juin 2025. © RFI
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RFI : Après douze jours de guerre entre Israël et l'Iran, pouvez-vous nous dire aujourd'hui si le programme nucléaire iranien est anéanti ?

Rafael Mariano Grossi : Je ne sais pas. Je crois qu'anéanti, c'est trop. Mais il a subi d'énormes dégâts. Donc les attaques qui ont commencé le 13 juin ont eu comme résultat des dégâts physiques très importants sur trois sites : celui de Natanz, Ispahan et Fordo, où l'Iran avait concentré la plupart de ses activités liées à l'enrichissement, à la conversion de l'uranium. Donc très important. Il y a d'autres sites nucléaires en Iran qui n'ont pas été atteints. Mais je sais qu'il y a beaucoup d'évaluations, à quel degré, annihilation, destruction totale, etc. Ce que je peux vous dire, et là je crois que tout le monde est d'accord, c'est qu'il y a des dégâts très considérables.

Quand le président américain affirme pour sa part que le programme a été fondamentalement retardé de plusieurs décennies. Est-ce que cette évaluation vous semble crédible ?

Cette approche chronologique aux capacités nucléaires a une tradition pas très heureuse dans le domaine international. Vous vous rappelez peut-être des 45 minutes [au moment de 2003, l'invasion de l'Irak et Britanniques et Américains disaient : « Il ne faudrait à Saddam Hussein que 45 minutes pour déployer ses armes de destruction massive »]. Il faut relativiser et ça dépend des paramètres que vous voulez appliquer. Peut-être des décennies, par rapport à quel type d'activité ou d'objectifs. C'est vrai qu'avec ses capacités réduites, il sera beaucoup plus difficile à l'Iran de continuer avec le rythme qu'il avait. Mais cette affirmation du président implique un but militaire et cela est une question d'intention, c'est subjectif. Les intentions, on ne juge pas, on analyse, on évalue ce qu'on voit sur le terrain.

Ça veut dire que pour le moment, il vous est impossible de dire avec certitude ce qu'il reste ou ce qu'il en est du programme nucléaire ?

On sait pas mal des choses. On connaît ces installations par cœur. C'est ça la différence entre nous et le reste du monde. Parce que nous, on est là. C'était notre travail quotidien, je dirais, d'inspecter toutes ces installations et donc on peut en déduire des conclusions assez précises en regardant les images satellites et autres par rapport au type des dégâts et aux conséquences de ce qui s'est passé. Donc dans ces sites-là, on sait bien quelle est la situation. Évidemment, il faut aller sur place et ce n'est pas facile. Donc il y a des décombres, ce n'est plus une installation opérationnelle.

Vous pouvez procéder à une « pré-évaluation », sur la base des photos satellites ?

Oui, et la connaissance qu'on a des installations et les capacités, par exemple. Je vous donne un exemple : Fordo, l'installation majeure, souterraine, dont tout le monde parle. C'est un scénario de film presque. On a vu les images des perforations de ces bombes à haute pénétration. Évidemment, on ne peut pas évaluer les degrés de dégâts. Mais vu la puissance de ces engins et les caractéristiques techniques d'une centrifugeuse, on sait déjà que ces centrifugeuses ne sont plus opérationnelles, parce que ce sont des machines avec assez de précision : il y a des rotors, les vibrations ont complètement détruit. Il n'y a pas pu ne pas avoir des dégâts physiques importants. Donc, on peut avoir une conclusion techniquement assez précise. Je connais l'installation de Fordo. C'est un réseau de tunnels où il y avait des types d'activités différentes. Je peux vous dire aussi que ce qu'on a vu sur les images et analysé correspond plus ou moins au hall d'enrichissement.

Est-ce que vous savez où se trouvent les 408 kilos d'uranium enrichi dont disposait l'Iran ? C'est vous qui aviez annoncé et mesuré ce chiffre juste avant la guerre.

En fait, c'est un peu plus. Mais on a arrondi à 400, parce que l'activité continuait jusqu'au 12 juin et jusqu'à la veille des frappes américaines, les inspecteurs de l'AIEA étaient encore sur place. On ne savait pas, évidemment, que ces attaques allaient avoir lieu, mais on a pu faire l'inventaire, au jour le jour. Mais chose importante, l'Iran annonce qu'il allait prendre des mesures de protection.

Donc, mettre à l'abri l'uranium enrichi ?

C'est ce qu'on pourrait imaginer. Après, il y a les opérations militaires qui se déclenchent. Naturellement, personne ne bouge, on ne peut pas inspecter, c'est normal. Et là, dès que j'ai appris qu'on avait le cessez-le-feu, j'ai écrit au ministre des Affaires Étrangères, Abbas Araghchi, que je connais bien. Je lui ai dit : « On a un cessez-le-feu, les conditions vont s'améliorer, il faut qu'on s'assoie. » Je n'ai pas dit : « Je veux venir immédiatement inspecter, etc. »

Vous avez fait une demande polie et diplomatique...

Tout à fait, il faut avoir du respect. Et donc j'ai proposé qu'on se réunisse pour commencer à évaluer les modalités du retour des inspecteurs sur les sites.

Est-ce que vous avez reçu une réponse à cette demande ?

Pas encore.

Est-ce que le fil de discussion entre l'agence que vous représentez et l'Iran existe encore ?

Il est maintenu. Évidemment, il y a une certaine tension en ce moment. Il y a des voix politiques en Iran qui considèrent que l'agence n'a pas été impartiale, etc.

Parce que l'agence n'a pas condamné les attaques israéliennes. Et c'est ce qui a mené à la décision, au choix, au vote des députés iraniens hier mercredi, qui ont voté pour la suspension de la coopération avec l'AIEA. C'est un motif d'inquiétude pour vous ?

Énormément. J'espère pouvoir analyser ça avec mes collègues iraniens, et je dois voir précisément l'ampleur de cette décision. Mais, la présence de l'agence en Iran, ce n'est pas une espèce de geste de générosité. C'est une responsabilité internationale. L'Iran est membre du traité de non-prolifération et de ce fait doit avoir un système d'inspection. C'est une obligation légale du point de vue du droit international, qu'on ne peut pas suspendre unilatéralement. J'espère que ça ne sera pas le cas, parce que, sinon on serait aux portes d'une nouvelle crise majeure.

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Si l'Iran refuse l'accès des inspecteurs aux sites, que pouvez-vous faire ?

Il se met lui-même en dehors du droit international et donc je devrais convoquer le conseil des gouverneurs. Enfin, je ne veux pas m'avancer trop. Mais je ne veux pas me mettre dans cette hypothèse.

Mais ça pourrait avoir des conséquences graves...

Énormément, parce que ça signifierait que l'Iran décide de se mettre en dehors du traité de non-prolifération et je ne crois pas que ce soit sa volonté ni son intérêt.

Juste avant la guerre, est-ce que l'Iran coopérait convenablement avec l'agence, de votre point de vue ?

Non. Ils coopéraient mais je l'avais dit publiquement à plusieurs reprises et aussi dans mon dernier rapport au conseil des gouverneurs que la coopération existait, mais elle était limitée. Il y avait beaucoup de questions auxquelles l'Iran ne répondait pas de manière convenable. On avait trouvé des traces d'uranium dans des endroits où on n'aurait pas dû les trouver et les réponses étaient techniquement pas crédibles. Il n'y avait pas de transparence.

Est-ce que l'Iran était tout près de fabriquer la bombe atomique, ce qui a été le motif de déclenchement de la guerre par Israël ?

L'Iran avait du matériel en quantité suffisante pour en produire, peut-être une bonne dizaine ou un peu moins. Et l'Iran avait des technologies et des développements liés. Mais on ne peut pas dire, je l'ai dit et je le répète, l'Iran n'avait pas l'arme nucléaire.

Donc cette guerre n'était pas utile ?

Ce n'est pas à moi de juger. Moi, je suis un homme de paix. Je crois que parler à travers les inspections de l'Agence internationale qui a été créée pour cela, on peut éviter ça. Après, les décisions politiques, ce sont les décisions politiques. Moi, je ne conteste pas et je préfère la paix.

Restez-vous optimiste ?

Un optimisme lucide et raisonnable.

Mais donc, est-il est possible que le dialogue et les inspections reprennent ?

Il est plus que possible. Il est indispensable.

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