José Daniel Ferrer, opposant cubain: «même si le régime prétend m’empêcher de revenir, je reviendrai le moment venu»
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Il a été libéré de prison et a quitté directement son île avec toute sa famille lundi dernier pour rejoindre les États-Unis et plus précisément Miami, ville qui compte une très importante communauté cubaine. Le dissident cubain, José Daniel Ferrer, certainement l’opposant au régime en place à Cuba le plus connu aujourd’hui, figure de la lutte pour les droits de l’homme depuis 30 ans, dirigeant de l’Union patriotique de Cuba et du Conseil de transition pour la démocratie (Unpacu), condamné à mort en 2003 puis gracié avant d’être à nouveau condamné à de nombreuses reprises.

RFI : Vous êtes aujourd'hui le visage le plus connu de la dissidence cubaine. Pendant des années, vous avez refusé à plusieurs reprises de quitter le pays, mais vous venez de partir de Cuba après des années de lutte contre le régime. Les autorités affirment que vous avez quitté Cuba de votre plein gré. Vous avez été poussé au départ ?
José Daniel Ferrer : Je n'ai jamais voulu quitter mon pays, ou du moins partir définitivement de Cuba. En fait, je ne suis pas parti définitivement, car, même si le régime prétend m’empêcher de revenir, je reviendrai le moment venu. J'ai toujours dit que je ne quitterais pas Cuba. S'ils veulent me tuer pour avoir lutté pour les droits de l'homme, pour la liberté et la démocratie, pour le bien-être de mon peuple, qu'ils le fassent. Mais le fardeau de la souffrance, les dommages que ma famille, mes jeunes enfants ont subis, principalement au cours des quatre dernières années, le traumatisme que cela leur a causé, les agressions à domicile, les vols commis par la police politique, les coups infligés même à mes jeunes enfants, à ma femme, ne m’ont pas laissé d’autre choix. Le régime continuait d'intensifier le harcèlement contre ma famille et s'efforçait de faire de ma prison une sorte de tombeau. Les coups, les agressions physiques contre moi, les tortures et les humiliations que je n'aurais jamais cru possibles se sont intensifiés. Cette situation m'a amené à reconsidérer ma position et je me suis alors dit : je dois assurer la vie et la sécurité de ma famille, je dois les faire sortir de Cuba, car ma femme a toujours refusé de partir sans moi. Le régime a toujours dit : « Aucun proche de José Daniel ne peut quitter le pays si José Daniel ne part pas définitivement ». C'est pour ça que je me suis dit que je devais partir à l'étranger, réorganiser dans les plus brefs délais tout ce que je peux réorganiser de l'Union patriotique de Cuba, dont tous les meilleurs coordinateurs ont été exilés en raison de la répression des cinq dernières années principalement. C'est pourquoi je suis à Miami.
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Vous avez 55 ans et vous luttez depuis 30 ans contre le castrisme. Vous avez passé de nombreuses années en prison. Comment vous sentez-vous aujourd'hui ?
Ma santé s'est détériorée au fil des années passées dans les prisons du régime, qui sont des prisons aux conditions véritablement médiévales en raison de la faim, du manque de soins médicaux, de médicaments, des maladies contagieuses comme la tuberculose, des coups, de la torture, du sadisme des gardiens et de la police politique qui utilise les gardiens et les prisonniers de droit commun très violents et dangereux, qu'ils exploitent en échange d'un avantage matériel, pour agresser et torturer les prisonniers politiques qui se rebellent. Je souffre de gastrite chronique. Il y a des lésions. Je ressens toujours des douleurs dans les vertèbres après les coups que j'ai reçus le 9 décembre 2022 à la prison de Malverde, des coups principalement infligés par le directeur de la prison. Je dois consulter pour certains problèmes médicaux qui, je pense, ne sont pas graves, certains sont chroniques comme la gastrite, mais rien qui m’empêche de consacrer la majeure partie de mon temps à la cause de la démocratisation de notre patrie, de notre nation.
Avez-vous une idée du nombre de prisonniers politiques qui sont toujours incarcérés ?
Hier encore, j'ai trouvé une donnée très récente faisant état de 1185 prisonniers politiques dans les prisons du régime. Ce chiffre est très sérieux et crédible, mais la réalité est qu'il y en a plus. Le nombre est toujours supérieur à celui qui est rendu public pour une simple raison : il y a des jeunes, principalement des contestataires, qui finissent en prison, mais leur famille a peur de le faire savoir, a peur d'alerter une organisation de défense des droits de l'homme ou une organisation d'opposition pacifique. Ils ne le font pas parce que la terreur reste l'arme la plus efficace de la dictature. Je suis sûr qu'il doit y en avoir plusieurs centaines d'autres dans toute l'île, car à Cuba, au milieu de tant de famine, de tant d'abus, de tant d'injustices, de tant de coupures d'électricité, il y a beaucoup de manifestations, dont certaines sont visibles sur les réseaux sociaux, mais d'autres ne le sont pas parce qu'il n'y avait pas d'internet, parce qu'on a confisqué le téléphone de ceux qui les ont filmés, de ceux qui en ont été les protagonistes, et qu'on leur a dit que si des informations étaient divulguées, ils risquaient 10 à 15 ans de prison.
La situation économique et sociale se détériore très rapidement ces derniers temps à Cuba. Pensez-vous que nous assistons à la fin de ce régime ?
Ceux qui sont le plus convaincus que la situation du régime est critique et touche à sa fin sont précisément les officiers de la police politique, appelée « sécurité d'État » par le régime. Ils en sont tellement conscients que ces dernières années, au cours des deux dernières années, plusieurs d'entre eux m'ont dit, chacun à leur manière : « Nous savons que la situation est très mauvaise, que les conditions sont difficiles ». Ils le répètent tous de manière similaire, même s'ils changent quelques mots, car ils sont comme des robots. Ils répètent les phrases, les discours que leurs chefs leur répètent lors des réunions ou lorsqu'ils leur transmettent les ordres, et ils disent ce qui suit : les conditions objectives à Cuba sont réunies pour que la révolution, ce qu'ils appellent la révolution, cesse d'exister, pour que la Révolution tombe, mais les conditions subjectives ne sont pas réunies, car la population n'est pas encore en mesure d'affronter la Révolution. Mais moi, je suis sûr que nous pouvons créer les conditions subjectives qui, selon eux, ne sont pas réunies. Et lorsque les facteurs convergeront, lorsque nous aurons ces conditions subjectives, dans la mesure où nous élargirons notre activisme pro-démocratique, civique et non violent dans toute l'île, avec fermeté, engagement et courage, dans la mesure où la solidarité du monde occidental, encore très faible, augmentera également -l'Union européenne a, par exemple, une position très maladroite envers le régime-, alors, dans la mesure où, je le répète, nous gagnerons également du soutien et où nous intensifierons et rendrons plus efficace notre lutte, alors le régime prendra fin.
Pensez-vous que le président américain Donald Trump puisse agir contre le régime ?
Oui, j'en suis sûr. On peut être d'accord ou pas avec Donald Trump sur telle ou telle question, mais je suis sûr que c'est l'administration la plus amicale que nous ayons eue aux États-Unis depuis longtemps et que, comme les conditions, je le répète, objectives, selon la police politique elle-même, sont réunies pour que Cuba change, et comme nous avons un secrétaire d'État d'origine cubaine qui est très engagé, je l'ai d’ailleurs rencontré en 2016, je suis sûr que cela va changer. Ce secrétaire d'État, Marco Rubio, est très réceptif. Nous avons toujours, toujours, bénéficié d'une solidarité américaine très respectueuse, même si le régime nous calomnie en disant que nous sommes des agents mercenaires des États-Unis et de l'impérialisme américain, etc., ce qui est une grande farce, un grand mensonge. Je pense donc que nous allons bénéficier d'une solidarité et d'un soutien de plus en plus importants. Et j’en profite, comme c’est le cas depuis des années, tout comme ceux qui luttent avec moi et d'autres organisations de l'opposition, pour demander à l'Union européenne un engagement plus fort envers les démocrates cubains.
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