Tchad: «lorsque les prisonniers de Koro Toro ont réclamé de l'eau, les gardiens ont ri»
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Selon Human Rights Watch, les centaines d'opposants tchadiens transférés de Ndjamena au bagne de Koro Toro, après les manifestations du 20 octobre 2022, ont vécu « pire que l'enfer », certains subissant trois jours dans le désert sans boire. Dans un rapport publié mardi 6 août matin, l'ONG de défense des droits de l'homme dévoile l'identité de 11 Tchadiens, qui sont morts pendant le trajet ou juste après leur arrivée au bagne, qui est situé à 600 kilomètres de la capitale tchadienne. Lewis Mudge est le directeur de Human Rights Watch pour l'Afrique centrale. En ligne de Ndjamena, il répond aux questions de Christophe Boisbouvier.

RFI : Vous avez pu identifier au moins quatre Tchadiens qui sont morts en octobre 2022 sur les 600 kilomètres de routes désertiques entre Ndjamena et le bagne de Koro Toro, de quoi sont-ils morts ?
Lewis Mudge : selon les témoignages, ils ont passé trois jours en camion, serrés comme des sardines avec les autres détenus et ils n’avaient rien à boire. Donc, imaginez-vous avec le soleil fort comme nous avons ici au Tchad, ce n'est pas étonnant qu’il y ait certaines personnes qui soient mortes.
Certains ont été obligés de boire leur urine ou l'urine de leurs voisins, c'est cela ?
Vraiment, ça fait 14 ans que je suis ici chez Human Rights Watch. J'ai vécu pas mal de choses. C'est la première fois de ma vie où j'ai récolté les témoignages de gens qui étaient obligés de boire leur propre urine, ou bien les urines de leurs amis. Et nous avons parlé avec plusieurs dizaines de détenus qui ont confirmé qu’ils ont été obligés de boire dans cette façon inhumaine.
Quand les prisonniers réclamaient de l'eau à leurs gardiens, qu'est-ce que ceux-ci leur répondaient ?
Pendant le voyage, lorsque les prisonniers ont réclamé de l’eau, les gardiens, ils ont rigolé. Ils ont dit tout simplement que l’eau n'est pas pour eux. Cette question de soif, c'est vraiment difficile pour moi à décrire, parce que chaque détenu avec qui j'ai parlé, tous les 72, ils ont parlé de la soif. Ils ont dit, « on était presque morts » à cause de la soif.
Blaise Djikossi, Vincent Bakouboup, Ngaba Djmadoum, Maxime Rimtebaye, voilà quatre hommes que vous avez donc pu identifier et qui sont littéralement morts de soif et d'épuisement sur la route de Koro Toro. Et vous avez aussi retrouvé la trace d'une jeune fille de 13 ans qui était également sur ces camions de la mort et qui n'aurait pas survécu ?
Malheureusement, on n'était pas capable d'établir tous les faits selon notre méthodologie à Human Rights Watch. Mais moi-même, j'ai parlé avec plusieurs anciens détenus qui ont confirmé qu'il y a aussi cette jeune fille de 12-13 ans qui est aussi morte à cause de la soif et son corps a été jeté du camion aussi.
Et donc toutes les dépouilles de ces malheureux et de cette malheureuse sont aujourd'hui introuvables, leurs familles ne peuvent pas récupérer leur dépouille ?
Leur famille ne peut pas les récupérer. Encore pire : jusqu'à aujourd’hui, l'État tchadien n'a même pas confirmé qu’il y a ces cas de morts sur le transit jusqu'à Koro Toro.
Magloire Mbaiadjim, Joachin Weiyenbal, Hubert Mbaindiguem, Elias Rebessengar, Medard Rimbar, Toralbaye Mayadjim et Moutengar Igneigor, voilà les sept autres prisonniers que vous avez pu identifier et qui, eux, sont morts à leur arrivée au bagne de Koro Toro. De quoi sont-ils morts ?
La plupart sont morts seulement quelques jours après leur arrivée à Koro Toro et on peut dire qu’ils sont morts suite à leur transfert jusqu'à Koro Toro. Ça vous donne une image de ce voyage terrible jusqu'à Koro Toro.
Vous avez donc identifié formellement 11 Tchadiens qui sont morts sur la route ou à l'intérieur du bagne, mais pensez-vous qu'il y a eu d'autres morts ?
C'est une question très importante et je veux être clair. Nous avons confirmé 11 Tchadiens qui sont morts suite au voyage ou bien à Koro Toro, selon la méthodologie de Human Rights Watch. Je suis à 100 % sûr que ce chiffre de 11, c'est à la base le minimum. Mais cela dépasse les 11, j'en suis sûr, parce que j'ai parlé avec beaucoup de monde qui a parlé de beaucoup d'autres cas. Donc maintenant, c'est vraiment à l'État tchadien d’établir qui est responsable.
Et ce malgré la loi d’amnistie votée par le Parlement de transition en décembre dernier ?
Écoutez, la loi d’amnistie, ça couvre les évènements du 20 octobre 2022 et le rapport que Human Rights Watch vient de publier aujourd'hui, c'est à la suite des événements du 20 octobre 2022. Donc selon nous, à Human Rights Watch, on est en train de parler d’autre chose, on parle du 23 octobre 2022. Et cela concerne tous ces mauvais traitements sur la route de Koro Toro et à Koro Toro même. Pour nous, ce n’est pas couvert par la loi d’amnistie.
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