Alors que la contre-offensive ukrainienne ne porte manifestement pas les fruits escomptés sur le terrain, un certain glissement est perceptible dans les opinions. À quel camp profite ce temps long ?

Sur le front ukrainien, la perspective d’une probable entrée dans une troisième année de conflit n’est pas une bonne nouvelle. Si elle acte la formidable résistance du peuple ukrainien face à l’invasion russe et l’« opération militaire spéciale » de trois jours déclenchée le 21 février 2022 avec le bombardement et l’invasion générale du territoire ukrainien par Moscou, ni les offensives, ni les contre-offensives au fil des mois, à Kiev, Kharkiv, Kherson ou dans le Donbass, n’auront été finalement, de part et d’autre, décisives.
La longévité et la brutalité du conflit laissent perplexes les analystes les plus chevronnés, et même dans les services du renseignement militaire américain au Pentagone, ceux-là mêmes, très informés, qui avaient annoncé l’attaque russe, on se prend à se demander où va cette guerre d’usure, qui se transforme en guerre de tranchées d’un autre âge, à l’immense et terrible coût humain, alors qu’un nouvel hiver se profile ? Impasse ? Non. Mais l’état d’esprit mi-fataliste, mi-désabusé dans les opinions publiques occidentales commence aussi à peser sur les gouvernements et sur la nature de leur engagement envers Kiev, et est inversement proportionnel au sentiment de frustration qui gagne la population ukrainienne.
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Washington, qui est le véritable second front logistique de la guerre en Ukraine, y a déjà consacré quelque 43 milliards de dollars en aide militaire et en armement et une rallonge de 13 milliards a été demandée au Congrès il y a quelques semaines par l’administration Biden. Mais pour la première fois, un sondage a révélé un début de renversement dans l’opinion publique américaine, se déclarant à 55% défavorable au soutien militaire.
Mais dans le même temps, on continue de plaider à Kiev pour l’envoi de soutien aérien ?
Rejetant la critique de moins en moins voilée des stratèges américains face aux choix opérationnels sur le front de l’état-major ukrainien et, en creux, de l’utilisation de l’aide militaire, à l’image de l’inlassable président Zelensky, l’armée ukrainienne martèle depuis des mois que la solution se trouve dans les airs. Les fameux chasseurs F-16 que le Danemark, les Pays-Bas et la Norvège par exemple se sont engagés à livrer ne seront prêts à être utilisés qu’en début d’année prochaine.
Un temps long qui, là aussi, ne joue pas en faveur de Kiev alors qu’à Washington, sans doute échaudé par les résultats contestables de la grande contre-offensive contre l’armée russe, on affirme que ce soutien aérien ne doit pas être considéré comme stratégiquement déterminant. En un mot : les F-16 n’apporteront pas nécessairement la victoire ukrainienne et la fin de la guerre.
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Et du côté russe, on continue de jouer la partition de l’inflexibilité, entre déni et fuite en avant
Si le feuilleton impliquant la milice Wagner, d’abord au front pendant le long hiver 2022 puis au cours de l’incroyable mutinerie du 24 juin, qui s’est arrêtée aux portes de Moscou, a surtout révélé de formidables distorsions et de failles au sein de l’état-major russe sur fond de propagande aveugle et d’engagement à marche forcée provoquant un véritable massacre sur le front, il est évident et acquis que l’armée russe a aussi appris de ses erreurs. Les redoutables lignes de défense qui ont coupé net l’offensive ukrainienne et contraignent les combattants à une pénible progression sont là pour en attester.
Désormais débarrassé du trublion Prigojine, chef de Wagner tué dans le crash de son avion, le président Poutine peut resserrer les rangs et s’installer, lui aussi, dans ce fameux temps long de la guerre dont il reste persuadé qu’il lui sera favorable. La question des négociations de paix, d’un armistice, ne sont à l’ordre du jour ni d’un côté, ni de l’autre. Dans quelques jours, lors de la rentrée scolaire, les lycéens russes découvriront un nouveau chapitre dans leurs manuels d’histoire. Quelques pages consacrées à cette fameuse « opération militaire spéciale » lancée contre l’Ukraine. Une invasion inévitable qui, selon la version officielle, aura permis d’« éviter une catastrophe plus grande encore… »
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