Le regard d'Ahmed Newton Barry

Le spleen des démocrates africains

Publié le :

Newton Ahmed Barry inaugure sa chronique hebdomadaire par les deux récentes présidentielles au Cameroun et en Côte d’Ivoire. Toutes les deux ont eu lieu en ce mois d’octobre, respectivement les 12 et les 25. Dans les deux cas, c’est une continuité qui n’a pas surpris.

Ahmed Newton Barry.
Ahmed Newton Barry. © Anthony Ravera / Studio graphique FMM
Publicité

J’aurais bien aimé commencer ce premier numéro de ma chronique en validant la fiction de mon illustre prédécesseur Jean-Baptiste Placca, d’un ancien président (le dernier des Mohicans, s’il en est) qui, à l’issue d’un scrutin présidentiel, aurait proclamé la victoire de son challenger, son ancien ministre.

Pari perdu, hélas ! La proclamation des résultats a bien été faite dans la nuit du 26 au 27 octobre, mais pas avec la solennité imaginée dans la fiction de Jean-Baptiste Placca. Dans le « Contineng », comme les camerounais appellent affectueusement leur pays, le « Soleil Biya » ne s’est pas couché, même si ses blêmes rayons ne dardent plus suffisamment pour réveiller l’espoir endormi des camerounais.

À lire aussiPrésidentielle au Cameroun: Paul Biya déclaré vainqueur par le Conseil constitutionnel

« Un désir d'Alassane Ouattara » ?

Les ivoiriens ont, eux aussi, choisi la continuité. Si Laurent Gbagbo et Tidjane Thiam avaient pu participer, il y aurait eu incontestablement plus d’enjeu, le taux de participation aurait pu avoisiner celui de la présidentielle 2010. Le résultat aurait-il été pour autant différent ?

Malgré tout, on peut dire que les 89,77 % correspondent à « un désir d’Alassane Ouattara ». Son bon bilan a pu certainement arbitrer en sa faveur.

Mais Quatre mandats consécutifs, c’est quand même un plafond de verre. À cette hauteur, le meilleur service que Alassane Ouattara pourrait se rendre à lui-même et à sa Côte d'Ivoire qu’il aime énormément, c'est de savoir « quitter le pouvoir, avant que le pouvoir ne le quitte ».

Des prétentions démocratiques revues à la baisse

En d’autres circonstances, beaucoup de critiques auraient pu fuser au sujet de ces deux élections présidentielles en Afrique francophone.

Dans cet automne de la démocratie en Afrique, les démocrates africains ont revu à la baisse leurs prétentions. Le cas tanzanien montre que la crise n’épargne pas non plus les anglophones. Les démocrates acceptent se contenter des aspects formels de la démocratie, là où hier, ils exigeaient d’élever les standards : inclusivité, universalité et surtout alternance - autrefois tenue comme l’oxygène de la démocratie - sont aujourd'hui passés à la trappe.

On est redescendu au stade du « désir de démocratie », en espérant contrer la réinstauration de l’ordre Kaki, qui menace partout.

Des souverainistes militaires aux antipodes des idéaux de Sekou Touré

Les rares « moines soldats de la démocratie africaine » affrontent, en positions de David, les Goliath « néo-panafricains », VRP des juntes souverainistes qui ne regardent pas à la dépense quand il s’agit de propager « l’ordre souverainiste/ panafricain ». Ils n’ont pas inventé cette dernière à la vérité et dont ils se servent plutôt bien. 

Un certain Sekou Touré, ancien président de la Guinée avant eux, avait élevé en idéal indépassable, pour tout vrai souverainiste africain, de préférer : « la pauvreté dans la liberté à la richesse dans l’esclavage ».

À ce jour, le constat est plutôt aux antipodes de l’idéal proclamé : les souverainistes militaires, comme leur ancêtre guinéen, se sont réservés « les richesses et les libertés » en laissant « la pauvreté et l’esclavage » aux peuples. Au moins, sur ce plan, les néo-panafricains souverainistes et les colons occidentaux ont en commun d’avoir lu pareillement et d’appliquer pareillement le Psaume 40-17 des saintes écritures.

Wolé Soyinka en tant qu'ambassadeur de la démocratie africaine

Pour la démocratie africaine, le Nigerian Wolé Soyinka reste son meilleur ambassadeur. À la Cassandre de Jacques Chirac, il avait répliqué : si « l’Afrique n’est pas mûre pour la démocratie, l’a-t-elle jamais été pour la dictature ? »

À lire aussiÀ la Une: le verrouillage électoral au Cameroun et en Côte d’Ivoire

NewsletterRecevez toute l'actualité internationale directement dans votre boite mail

Suivez toute l'actualité internationale en téléchargeant l'application RFI