République dominicaine: à la frontière avec Haïti, une «grille intelligente» contre les migrants
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En République dominicaine, face à l’immigration haïtienne – officiellement quelque 500 000 citoyens haïtiens à vivre de l’autre côté de la frontière sur 11 millions d’habitants – le président Abinader a lancé le chantier d’un mur à la frontière avec Haïti. Influencé par les secteurs dits nationalistes, le président a inauguré la construction en grande pompe, en février 2022, de ce qu’il appelle une « grille intelligente ». Cette initiative est une étape de plus dans la politique anti-haïtienne mise en place au plus haut sommet de l’État dominicain. Les difficultés pour obtenir des papiers et les expulsions illégales sont déjà le quotidien des migrants haïtiens en République dominicaine depuis plusieurs années. Comment est perçue la construction de ce mur dans la ville de Dajabon, où elle a démarré ?

De notre envoyée spéciale,
« Avant, il y avait des palmiers, beaucoup de bambous et d’autres plantes. » Domingo est installé devant sa petite maison en bois. Depuis quelques mois, il a vue sur le mur, à quelques pas du pont transfrontalier de Dajabón. Pour lui, cette construction est une bonne chose bien qu’elle ne soit pas encore terminée.
« Ce mur, c’est une bonne initiative pour tout le monde. Pour les vols. Ici, de ce côté, si vous avez une vache, elle n’est pas en sécurité. Les Haïtiens vont vous la voler. Mais maintenant, ils vont mettre un fil barbelé en haut. Parce que bon, vous imaginez… On ne peut pas avoir confiance dans les Haïtiens. Vous voyez cet arbre là-bas ? Eh bien, ils montent et comme ça, ils passent au-dessus du mur, juste-là, vous voyez ? Ils passent, ils s’en fichent. Donc c’est pour ça qu’il faut mettre le fil barbelé. »
Un mur « intelligent »
Pour le moment, le mur en moellons fait entre deux et trois mètres de haut, et certaines parties ne sont toujours pas terminées. Le tout a plutôt une allure de terrain vague que de zone militaire surveillée.
Direction la mairie de Dajabon, où Santiago Riveron, le maire, explique le projet : « Les gens appellent cela un mur, mais c’est une "grille intelligente". Intelligente en raison de la technologie, il va y avoir tout un système de caméras, de sécurité constante, un système de contrôle. D’où le nom de "grille intelligente". Et tout ça, ce sera géré par l’armée. Dans deux mois, la première partie sera terminée. Il ne faut pas oublier qu’il y a beaucoup de kilomètres de frontière, là pour le moment ce seront les 50 premiers kilomètres qui seront officiellement terminés ».
Et selon l’élu, le mur a déjà des effets positifs sur la commune : « Le mur, c’était une demande de beaucoup de citoyens dominicains. Particulièrement pour réagir face aux vols. Ici, il peut arriver que soient volés 30, voire 40 vaches en une seule fois ! Et évidemment, il y a le problème de la migration. Pour la plupart des gens, ce mur permettra de contrôler cette situation ».
« C'est un aveu d'incapacité des autorités »
Mais tout le monde n’est pas de cet avis. On retrouve Gonnell Franco, journaliste et habitant de Dajabon, au niveau du poste frontière entre Haïti et la République dominicaine : « Le secteur qui soutient le mur, c’est surtout le secteur de l’élevage bovin, car ce sont les éleveurs qui sont les plus touchés par les vols. Mais en réalité, pour ce problème, ce qu’il faut, c'est faire appliquer la loi et pas construire un mur. C’est un aveu d’incapacité de la part des autorités. Mais en plus de ça, ce sont les militaires qui seront chargés de le surveiller, les mêmes militaires qui sont incapables de contrôler la frontière. Il y a vraiment beaucoup de corruption. Chaque mois, il y a un rapport officiel qui annonce combien de personnes ont été expulsées, mais on continue à nous répéter que le pays est rempli d’Haïtiens… C’est incompréhensible, non ? »
La nature n’a pas été épargnée par cette construction : « Dans la zone de la lagune Saladilla, des centaines de palétuviers ont été abattus malgré les protestations, malgré le rejet de la population. Les dommages environnementaux sont vraiment terribles ».
Le mur devrait faire, à terme, 164 kilomètres sur les presque 400 que fait la frontière dominicano-haïtienne. Les cinquante premiers kilomètres ont coûté 28 millions d’euros et ont été en grande partie construits par des migrants haïtiens.
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