Lignes de défense

Ce que disent les graffitis des soldats russes en Ukraine

Publié le :

C’est un aspect du conflit ukrainien encore peu documenté. Les soldats russes, depuis bientôt quatre ans de guerre, ont multiplié les graffitis sur les murs des zones occupées. Wall Evidence, un collectif basé à Kiev, répertorie et classe les photos de ces graffitis, comme des pièces à conviction.

«Chaque missile est dirigé vers un khokhol [terme péjoratif pour "Ukrainien"]», Kamianka, district d'Izium, région de Kharkiv 2022.
«Chaque missile est dirigé vers un khokhol [terme péjoratif pour "Ukrainien"]», Kamianka, district d'Izium, région de Kharkiv 2022. © Sashko Brynza / MediaPort / Wall Evidence
Publicité

À ce jour, le collectif Wall Evidence a compilé près de 800 graffitis. Paul Dza, photographe à l’agence Sipa, participe à ce projet initié dès les premiers jours de la guerre, juste après les massacres de Boutcha.

« Au milieu des débris, au milieu des appartements, pillé et saccagé, on retrouve des messages, détaille-t-il. Ça peut être des messages qui sont adressés à la population ukrainienne. On retrouve par exemple, dans des appartements où les habitants ont été assassinés, des messages ironiques s'excusant pour le vacarme, s'excusant pour les dégâts qui ont été laissés. On retrouve des messages, par exemple, qui disent que l'Ukraine n'est pas un vrai pays. Il y a [aussi] des supermarchés dont les noms ukrainiens ont été barrés pour être remplacés par des noms russes. »

Des graffitis comme outil de revendication

Des graffitis omniprésents du Donbass au nord, à la région de Kherson au sud.

« On imagine les soldats russes laisser des graffitis, poursuit Paul Dza. Pas dans un moment où l'assaut est en cours. Pas dans un moment où les combats font rage. C'est dans des moments d'entre-deux, des moments de latence, des moments d'attente, d'ennui. On les imagine en train de faire des graffitis en se disant "bon, il faut que je puisse dire à mes proches, à mon village, à ma région, que ce grand projet d'invasion de l'Ukraine, il faut que je le revendique". Donc, ils vont mettre la date, ils vont mettre la région d'où ils viennent. Et très souvent, ils sont pris en photo par les soldats russes et partagés sur des réseaux sociaux comme Telegram ».

Un intérêt juridique et militaire

Ces documents, accessibles aux chercheurs, éclairent sur le positionnement des unités russes et la temporalité du conflit.

Grand reportageEst de l’Ukraine, lâcher du terrain ou combattre jusqu’au bout ?

Et ceux retrouvés dans des lieux de tortures viennent aussi nourrir les dossiers des procureurs. Mais les graffitis russes, souligne Paul Dza, ont aussi un intérêt militaire : « Une unité qui va laisser beaucoup de graffitis - avec des noms, avec des pseudos, avec les villes d'origine - ce sont des informations tactiques qui sont utiles pour les soldats ukrainiens, qui vont en déduire que c'est une unité peu spécialisée, qui laisse beaucoup de traces, qui n'est pas discrète dans son avancée. » 

« À l'inverse, continue le photographe, des soldats qui vont laisser de l'humour, des graffitis qui prennent énormément de temps à être faits comme des poèmes, des extraits de romans entiers qu'on peut retrouver parfois sur certains murs de zones occupées, les soldats ukrainiens peuvent en déduire qu'ils ont face à eux des soldats russes très confiants, sûrement expérimentés, et qui prennent le temps de laisser des graffitis élaborés sans pour autant donner d'informations tactiques. »

Une plongée dans la tête des soldats russes

Tag, signatures, les soldats russes laissent également sur les murs de nombreux dessins, indique Paul Dza : « Des dessins font des références à la Grande Guerre patriotique, et certains mettent en parallèle l'invasion de l'Ukraine avec la Seconde Guerre mondiale. On retrouve des étoiles rouges, on retrouve des faucilles et marteaux. On retrouve parfois des dessins avec des références à la culture pop, avec des références à des mangas. On peut retrouver des représentations plus élaborées comme des dessins de soldats représentés à échelle humaine. On retrouve par exemple des espèces d'envolées lyriques ou les soldats russes s'inspirent ou modifient les paroles d'une chanson, modifient le texte d'un poème qui parle de la mort, qui parle de la fin qui approche, mais que le but, le grand combat dans lequel ils sont lancés, continuera malgré leur perte. »

Information brute, les graffitis offrent une plongée dans la tête des soldats russes, véritables reflets de la dynamique d’une armée d’occupation.

NewsletterRecevez toute l'actualité internationale directement dans votre boite mail

Suivez toute l'actualité internationale en téléchargeant l'application RFI

Voir les autres épisodes