BD: «Ils sont partout», glossaire des facettes multiples du complotisme avec Valérie Igounet
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Le Livre France de la semaine nous emmène dans le monde du complotisme et de l’extrême droite. Ils sont partout, c’est le titre de cette bande dessinée pédagogique et ultra documentée. L’une des auteures, Valérie Igounet, s’entretient avec Frédérique Genot.

RFI : Valérie Igounet bonjour, vous êtes historienne, spécialiste de l’extrême droite et du négationnisme en France. Vous faites partie de l’équipe de scénaristes dessinateurs (quatre au total) qui cosignent Ils sont partout, parue aux Arènes BD. C’est une plongée en images dans le monde du complotisme.
Valérie Igounet : Oui, en image et en écrit, complètement. On a voulu aborder ce thème en s’appuyant sur de multiples facettes, sous toutes sortes de complotisme, mais aussi montrer la dangerosité de ces thèses qui sont de plus en plus actuelles.
Cela commence par une histoire assez classique. La disparition d’un frère, que sa sœur, journaliste, va aller chercher, avec l’aide d’un ancien grand journaliste spécialiste de l’extrême droite. Au tout début, lorsque Rose voit les vidéos de soi-disant médecins qui expliquent qu’on peut combattre le cancer avec du jus de carotte ou que boire son urine apporte beaucoup d’énergie, elle est perplexe, mais pas encore inquiète.
On la sent perplexe et on sent aussi qu’elle découvre en fait quelque chose qui pour elle est inédit et surtout tellement grotesque qu’au fur et à mesure, cette perplexité va se transformer en angoisse. Non seulement elle sent que son frère pourrait être entraîné dans ce gouffre, mais aussi que ce sont des thèses qui pourraient concerner de multiples personnes.
Il y a une histoire dans laquelle se croisent des personnages fictifs et des personnages dont les noms sont changés, mais que l’on reconnaît. Le Bienvenu de la grande fête de l’insigne, c’est Dieudonné.
C’est vrai qu’on s’est dit : pourquoi leur donner leur nom ? Des faux patronymes ont été choisis. Il y a souvent des clins d’œil par rapport à ce qu’ils peuvent être ou ce qu’ils peuvent représenter. Et comme ils nous ciblent aussi soi-disant qu’on est leurs ennemis et qu’ils nous nomment, on s’est dit que c’était une pirouette qui pouvait amener de la légèreté à la lecture de cette BD.
De la légèreté, il y en a, en même temps que de la gravité. Un participant à cette fête précise qu’il n’est pas antisémite, mais qu’il est anti-système. Là, ça résonne…
Oui, ça résonne et ce sont en fait des propos qui pour la plupart ont été tirés de dialogues authentiques. C’est une BD, c’est une fiction, mais ce n’est pas vraiment une fiction puisque outre cette histoire de la journaliste, ces personnages, quand on les voit, quand on les entend (même si on les lit), les propos sont véridiques.
Les complots qui sont cités : le 11-Septembre n’a pas eu lieu, les Américains ne sont pas allés sur la Lune, d’autres plus graves comme le négationnisme, les chambres à gaz n’ont pas existé, vous les répertoriez à la fin…
On a décidé de faire ça aussi parce qu’on s’est dit que si cette BD pouvait être lue par des personnes qui ne connaissent pas vraiment le complotisme, qui s’y intéressent ou se sentent (pourquoi pas non plus) attirés par ces thèses... Pourquoi ne pas proposer une sorte de glossaire qui répertorie toutes ces thèses – non pas les plus importantes –, mais qui peuvent avoir aujourd’hui une incidence cruciale et que ce soit un côté pédagogique ? Cette BD on voulait aussi qu’elle concerne cette génération des réseaux sociaux qui est la plus perméable au complotisme aujourd’hui.
Pendant son enquête, la journaliste a l’impression de rencontrer des gens qu’elle dit « un peu paumés ». Alors qu’en fait, son interlocuteur lui rappelle que quelqu’un de paumé plus de la manipulation, des fake news et des réseaux sociaux, cela peut conduire à Samuel Paty (le professeur assassiné en octobre 2020, ndlr).
Nous avons voulu aussi discerner les idéologues qui les entraînent dans leur délire complotiste et ces personnes qui deviennent aussi conspirationnistes pour diverses raisons. Et dans certaines interviews, on a entendu des gens dire que c’était un instant-T de leur vie, voire une certaine perdition, même si le mot est un peu fort. Il faut faire attention.
Certes, il y en a qui sont paumés, mais on sait aussi que dans la grande majorité, les profils complotistes sont à l’extrême droite. On voit encore hier, cette presse qui rend compte de meurtres, etc. Vous voyez, on peut être paumé, on peut être perdu, on peut croire à une bêtise, mais il ne faut pas non plus être extrêmement conciliant avec ces gens qui peuvent sombrer dans un délire.
C’est très agréable à lire. Il y a un suspens, une histoire et en même temps, c’est traité de manière extrêmement rigoureuse. Comment est venue l’idée de cet ouvrage ?
Je suis l’auteure de bouquins universitaires avec des notes en bas de page, etc. Ils sont importants pour moi. Mais pourquoi pas élargir le lectorat ? Et l’élargir, cela veut dire vulgariser des thématiques au sens noble du terme. C’est-à-dire qu’elles concernent les lecteurs et que ce soit abordable pour un panel de lectorat. Cela, c’est la première chose. C’est évidemment aussi l’éditeur, Laurent Muller, qui était partant. Et avec les Arènes, on s’est dit que ça pouvait être une excellente idée de faire une BD. Cela n’existe pas. Et on a foncé.
En tout cas, ça arrive pile dans l’actualité. On a appris cette semaine que 7 personnes avaient été interpellées dans un dossier terroriste dans lequel 14 personnes ont déjà été mises en cause… parmi lesquelles Rémy Daillet, une figure des milieux complotistes.
Rémy Daillet a été interpellé il y a quelque temps. Il est incarcéré. Il est lié à cette affaire de l’enlèvement de la petite Mia. Il a été de nouveau mis en examen à l’automne dernier pour un éventuel réseau terroriste lié à un groupuscule d’extrême droite. Et c’est vrai que ces personnes interpellées montrent cette centralité de Rémy Daillet et aussi ce mot qu’il faut prononcer et qui est aussi dans Ils sont partout, c’est-à-dire : le terrorisme.
Il ne faut pas oublier que certaines personnes qui ont recouru à des thèses complotistes sont parvenues à assassiner d’autres personnes. Je pense à plusieurs attentats.
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