«Tiphaine, où es-tu ?» À la recherche de notre sœur de Damien et Sibylle Véron
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Le livre France de la semaine s’intitule Tiphaine, où es-tu ? Co-écrit par Damien Véron et sa sœur Sibylle, c’est le récit de la disparition au Japon de Tiphaine Véron le 29 juillet 2018, et du combat que sa famille mène depuis. Frédérique Genot reçoit ses deux auteurs.

RFI: Damien et Sibylle Véron bonjour. Il va bientôt y avoir quatre ans que votre sœur Tiphaine a disparu à Nikko au Japon. Nous en avons déjà parlé à RFI. Pour ceux de nos auditeurs qui ne le sauraient pas, Damien, qu’est-ce qu’il s’est passé ?
Damien Véron : Alors Tiphaine avait soigneusement préparé son voyage pour le Japon. Deux jours après son arrivée, d’un seul coup, plus de nouvelles. Quelques jours après, nous avons reçu un message de l’ambassade, nous expliquant que Tiphaine avait disparu. Nous avons immédiatement pris des billets d’avion pour aller sur place. Nous pensions la retrouver très rapidement, qu’elle soit dans un hôpital, ou ailleurs. Finalement, depuis quatre ans, on la recherche toujours.
Quatre ans plus tard, on ne sait toujours pas ce qu’il s’est passé. Ce livre, c’est le récit de quatre années particulièrement éprouvantes pour toute votre famille. Vous y avez fait front ensemble. Est-ce que c’est pour cela que vous avez écrit ce livre ensemble ? Comment l’avez-vous écrit, Sibylle ?
Sibylle Véron : C’est un livre que nous avons écrit ensemble. En fait, on devait partir ensemble pour le Japon. En mars 2020, à cause du Covid-19, les frontières ferment. Et là, Damien, coincé chez lui se dit : « Je ne peux pas rien faire. Je vais écrire ». Sauf que tout ce que nous avions vécu, il a fallu le vérifier ensemble. J’ai commencé à l’aider, à recouper les informations, comparer nos notes. Est-ce qu’on a tous bien vécu les choses de la même façon ? On a commencé à partager tout cela. Cette enquête, on l’a menée ensemble. Tous les deux en première ligne. Cela a fini par être un projet commun, et on l’a écrit ensemble.
Après la disparition, il y a dans un premier temps, l’enquête menée par les policiers japonais. À la violence de la perte d’une sœur (ou d’une fille), se sont donc ajoutées très vite les difficultés de communication avec la police japonaise.
Damien Véron : Tout à fait. Très rapidement. Alors c’est paradoxal, parce que lorsque Tiphaine a disparu, les policiers japonais nous ont tout de suite dit qu’ils ne feraient pas d’enquête. Donc nous, nous avons médiatisé sur place. Donc la carte de la médiatisation a fait que la police locale nous a reçus avec l’ambassadeur. Cependant, malgré le canal Interpol, ils ont refusé de parler à la police française. Donc on s’est retrouvé en première ligne, malgré nous, à devoir essayer de décrypter le choc culturel entre la France et le Japon, mais aussi à devoir essayer de récupérer des éléments d’enquête pour alimenter la justice française. Donc c’est aussi pour ça qu’on a décidé de rédiger ce récit. C’est parce qu’on s’est retrouvé en immersion au Japon, avec d’autres modes culturels.
Une langue que vous ne parlez pas ?
Damien Véron : Tout à fait
Ce qui est impressionnant à la lecture de ce livre, c’est la façon dont on voit que rapidement, chacun d’entre vous se spécialise dans des domaines dont j’imagine que vous ignoriez peut-être tout (le bornage des téléphones, les relevés de pluviométrie, le débit de la rivière.) - quitte à être parfois plus précis que vos interlocuteurs japonais.
Sibylle Véron : Ce qui est terrible dans cette histoire et qu’on raconte dans le livre, c’est que très vite les policiers japonais qui pensaient à la piste criminelle se disent : « Oh là là, ça va être trop compliqué… C’est un accident ! Rentrez chez vous ! » et « Il y a eu un typhon, votre sœur est partie dans la rivière, on ne la retrouvera jamais ». En fait, on a déjà dû prouver qu’il n’y avait pas eu de typhon, que tout ça, c’était faux. On a dû faire nos propres recherches. Heureusement, on pouvait compter sur les expertises de Damien en termes d’hydrologie (il connait les plantes, il est paysagiste). Moi, je me suis plutôt occupée du volet téléphonie, avec notre plus jeune frère. Forcément, ils ne voulaient pas enquêter ! On a été obligé de se substituer à ça, se renseigner, se renseigner, pousser toujours plus loin la quête d’informations. Par exemple, pour le téléphone, on ne comprenait pas. On disait : « Est-ce que vous avez le bornage du téléphone ? » Ils répondaient : « Non, non, ce n’est pas possible de récupérer les données, c’est un téléphone étranger ». Non ce n’était pas ça le problème. C’est que le téléphone a été brutalement cassé. Et ça, il a fallu que l’on contacte Xavier Niel, par des mails…
Xavier Niel, le patron du groupe qui est la maison mère de Free, l’opérateur du téléphone de votre sœur.
Sibylle Véron : Exactement
Ces informations qui auraient été fondamentales si vous les aviez eues dès le début ?
Sibylle Véron : Eh oui. À priori, c’est utile de savoir que si quelqu’un est tombé dans la rivière, on le retrouve. C’est fondamental de savoir qu’un téléphone a cessé d’émettre pour des raisons anormales. Et tout cela se recoupe avec des témoignages. Et c’est l’autre problème, dans cette enquête, et c’est ce qu’on raconte aussi dans le livre. C’est qu’il n’y a pas d’audition. Aujourd’hui encore, nos avocats se battent pour avoir des auditions, pour recouper les emplois du temps des uns et des autres, rien qu’au départ de l’hôtel.
Et on vous sent tout le temps tenaillé entre la volonté de respecter la culture de vos interlocuteurs japonais, et ce besoin de faire la lumière sur ce qu’il se passe. Et ça, c’est délicat.
Damien Véron : Très délicat. Surtout que l’ambassadeur nous prévient, il nous dit « Vous avez des interlocuteurs, ils vous reçoivent, surtout ne les brusquez pas » donc on est obligé de jongler entre la frustration de ne pas obtenir des pistes évidentes. Il y a une personne suspecte qui nous a directement interpellés avec Sibylle en nous expliquant qu’il savait où était Tiphaine. Vous avez énormément de faits divers. Ou encore l’hôtelier, lui-même, qui explique que Tiphaine est partie avant 10 heures, alors qu’en fait, grâce à nos recherches, on voit qu’elle part pratiquement à midi de l’hôtel. Avec tout cela, on se dit, « il faut chercher ! Ils ne le font pas ». Donc effectivement, c’est horrible, parce qu’on est frustré et énervé, on n’a pas de réponse. Et en même temps, c’est ça, il ne faut pas les brusquer, sinon ils vous disent « Au revoir ».
Et on sent un peu d’amertume quand vous évoquez l’histoire de Narumi, cette jeune Japonaise disparue en France et pour laquelle la police française a fait le maximum et a trouvé l’assassin.
Damien Véron : Oui, cette histoire elle est intéressante, puisque le Japon a fait pression sur la France, en disant : « Ce n’est pas normal, vous devez retrouver le criminel ». La France a fait des recherches colossales, le juge d’instruction a mené de vraies investigations et finalement en partant de la chambre d’hôtel d’où elle a disparu, ils ont fini par retrouver des traces et retrouver le criminel qui a été récemment condamné en France. Alors que Tiphaine, il y a eu des traces de sang dans sa chambre, et finalement, rien n’a démarré.
On vous sent passer par des moments d’impuissance, de découragement peut-être, pourtant vous ne renoncez jamais.
Sibylle Véron : C’est impossible de renoncer à partir du moment où il n’y a pas d’enquête. Tant qu’il n’y a pas d’enquête criminelle, une enquête solide, où on part de l’hôtel, on interroge des gens et on sait pourquoi il y a des traces de sang qui apparaissent dans sa chambre, etc. À partir du moment où il n’y a pas cette base solide, on ne peut pas abandonner. Nous, notre enquêteur privé qu’on a recruté, nos avocats, s’ils estiment qu’il y a un maximum d’actes d’investigations qui ont été menés. Là, peut-être qu’on arrêtera. Ça me parait difficile à croire. Mais déjà je pense qu’on peut peut-être retrouver Tiphaine, si on mène une enquête.
Alors il vous revient que si vous agacez parfois, c’est parce que vous médiatisez trop vos recherches, et on vous laisse entendre que cela vous dessert. Comment avez-vous réagi à cela ?
Damien Véron : Moi, ça m’a choqué. Parce que l’objectif de la médiatisation, c’était de faire en sorte que la France ait les moyens de se faire entendre au Japon. Et non pas de bousculer notre camp. Nous, on s’est dit, Tiphaine est française, on a besoin du juge d’instruction, on a besoin de la police française. Le fait de médiatiser, c’était pour montrer qu’il n’y avait pas d’enquête au Japon. On s’est dit, c’est le monde à l’envers. Surtout qu’on a assuré un lien avec la police nippone. Justement, on a essayé de ne pas s’agacer pour ne pas rompre ce lien. L’objectif, c’était justement que la France en profite. Cela n’a pas été le cas.
Pour les trois ans de la disparition de Tiphaine, vous obtenez une aide de l’actrice Fanny Ardant qui enregistre un message, en même temps qu’une fresque est réalisée. Et vous décidez de changer de tactique en ce qui concerne l’enquête.
Damien Véron : On interpelle le juge d’instruction directement. On fait un rassemblement devant le palais de justice, puisque Maître Antoine Vey - c’est aussi quelque chose d’important dans notre combat puisqu’il a accepté de nous rejoindre, par le biais d’Éric Dupont-Moretti, donc ça prouve qu’il croit en notre combat - qu'ils l’ont légitimé. Nous, on demandait seulement que le juge d’instruction aille au Japon, puisque le sens du protocole au Japon fait que quand vous y allez, ça n’a rien à voir. Ils vous reçoivent. Et donc, l’objectif, c’était que la juge d’instruction y aille. Elle a refusé d’y aller. Donc là, on était vraiment indigné. On a décidé de faire un rassemblement devant le palais de justice de Poitiers pour dénoncer son refus d’y aller.
Sibylle Véron : On était indignés, et on a, sur conseils de nos avocats, décidé de recruter un détective privé : Jean-François Abgrall. On ne peut pas forcer les policiers japonais à enquêter. Peut-être qu’ils enquêtent en coulisse, ce n’est pas ce qu’on comprend, ce n’est pas ce qu’ils donnent comme réponse à la justice française. En tout cas, nos avocats se sont dit : pas d’enquête, il faut recruter quelqu’un et quelqu’un de compétent. Et donc heureusement, on nous a mis sur le chemin de Jean-François Abgrall qui est un ancien gendarme, qui a monté sa société privée et qui a réussi au moment où il n’y avait pas les techniques d’enquête d’aujourd’hui à coincer Francis Heaulme, des tueurs en série comme ça. Donc on fait confiance à Jean-François Abgrall. On sait très bien qu’il peut retrouver Tiphaine.
Damien Véron : Une dernière chose importante, une commission rogatoire internationale avait été envoyée par le juge français aux Japonais. Elle est revenue la semaine dernière, a été traduite, enfin. Et il se trouve qu’il n’y a rien dans cette commission rogatoire internationale. On demandait que les suspects soient entendus, ça n’a pas été le cas. Donc maintenant, le déplacement du juge est vraiment important. Quel juge ? En tout cas, il faut qu’un magistrat français se déplace à Nikko sinon on n’aura jamais de réponse sur certains points.
Le détective privé, il a déjà trouvé quelque chose ?
Sibylle Véron : On ne peut pas parler de ce que Jean-François Abgrall est en train de faire. Enfin, c’est compliqué. Des témoignages lui arrivent, des témoignages importants. Vraiment, même à distance, car on attend qu’il puisse aller sur place, il a réussi à obtenir beaucoup d’informations sur le climat criminologique de Nikko et de la région. Pour lui, c’est vraiment un endroit où il se passe des choses terribles. C’est normal, il y a des temples au milieu des forêts, donc il y a à la fois beaucoup de monde et ce sont des endroits isolés. Bref il a connaissance de faits récurrents, d’agressions récurrentes. Il a des témoignages sur lesquels s’appuyer. Lui, il avance pas à pas et il ne doute pas qu’on va trouver des choses.
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