Livre international

«Hong Kong, cité déchue», de Lau Kwong-Shing, une critique de la répression

Publié le :

La bande dessinée Hong Kong, cité déchue, des éditions Rue de l’Échiquier, interroge avec acuité le basculement d’une démocratie dans la dictature. C’est un manifeste en faveur des libertés et des droits de l’homme, qui est aussi un appel à se mobiliser face aux menaces totalitaires.

La bande dessinée «Hong Kong, cité déchue», de Lau Kwong-Shing.
La bande dessinée «Hong Kong, cité déchue», de Lau Kwong-Shing. © Éditions Rue de l’Echiquier
Publicité

RFI : Que redoutez-vous le plus pour l’avenir de Hong Kong ? 

Lau Kwong-Shing : Aujourd’hui, je n’ai plus vraiment d’espoir quant à l’avenir de Hong Kong. Bien sûr, je continue à croire en la nécessité de lutter pour rétablir les libertés confisquées. Mais la situation actuelle est à mon avis désespérée. À Taïwan, en France ou dans d’autres pays qui sont des terres de liberté, j’espère que ce livre incitera les lecteurs à réaliser que leurs libertés n’ont été acquises qu’aux prix de luttes inscrites dans la durée et qu’elles ne sont pas nées sans raison, que cet état de fait n’a rien d’évident.

Car quand on mène une existence sereine dans un environnement qui nous est trop familier, il nous est souvent difficile de nous représenter la valeur des éléments qui la composent et c’est en particulier le cas de la liberté. J’espère donc qu’au travers de ce livre, des citoyens libres pourront prendre conscience que leurs libertés sont précieuses et qu’elles méritent d’être défendues.

On sent que les choses évoluent par petites touches, comme par exemple, les modifications apportées aux manuels scolaires. C’était important pour vous de montrer cela ?

Oui, et en la matière, les exemples ne manquent pas : dans les nouveaux manuels scolaires, pour la définition du concept de médias de masse, on voit en effet disparaître une phrase évoquant la surveillance et le contrôle que les médias pouvaient effectuer sur le fonctionnement des institutions. C’est une attaque en règle contre nos libertés, car Hong Kong bénéficiait des libertés d’association, de rassemblement, d’expression, de publication, ainsi que de la liberté d’informer.

► À lire aussi : Hong Kong : l'un des derniers médias indépendants annonce sa fermeture

Je suis certain que c’est une anecdote que tous les Hongkongais ont encore en mémoire. Sur cette planche, le vieux manuel dont est tiré ce texte était celui sur lequel j’ai étudié moi-même enfant. Devenu adulte, j’ai découvert que, dans les nouveaux manuels, ce passage avait été supprimé. En quelques années, Hong Kong a commencé à subir une lente métamorphose, et cet exemple me semblait tout à fait symbolique et révélateur.

La situation de Hong Kong a évolué de manière extrêmement rapide et brutale et certaines des prédictions auxquelles je me suis livré se sont réalisées après seulement quelques mois.

– Lau Kwong-Shing, illustrateur

Comment avez-vous sélectionné les événements que vous illustrez ?

Initialement, mes dessins couvraient davantage d’événements, mais mon éditeur souhaitait lui aussi participer aux décisions quant aux thèmes abordés, et du fait du nombre limité de pages du livre, nous avons fini par opérer une sélection commune sur les éléments nous semblant essentiels. Il s’agissait notamment de mettre en valeur des événements qui avaient été couverts par les médias internationaux. Mais j’ai voulu aussi y intégrer des aspects qui n’avaient pas été suffisamment considérés par les médias, comme par exemple, dans la dernière partie du livre, je décris l’arrière-plan dans lequel le mouvement anti-extraditions a pris son essor, et trop peu de reportages ont été réalisés sur la question.

Pour qui ne connaît pas suffisamment Hong Kong, le mouvement de 2019 a pu apparaître comme un événement insolite, mais celui-ci trouve ses racines dans un long processus historique. Du mandat britannique à la rétrocession à la Chine, d’une société où régnait la liberté à une lente mutation en quelque chose se rapprochant progressivement du modèle continental chinois, malgré la prétendue politique « Un pays deux systèmes ». Une façon de mettre par écrit un concept qui habillait le traité de rétrocession auquel, côté chinois, on n’a jamais cherché à croire.

► À lire aussi : Élections à Hong Kong: comment Pékin a détruit le système politique local

Vous projetez votre ville en 2028. À quelle vitesse s’avance-t-on vers, comme vous le dites, une catastrophe prévisible ?

Hong Kong, 2028 est une série de dessins que j’ai réalisés en 2019 et je croyais que les sujets que j’abordais ne seraient d’actualité que dans dix ans. Mais la situation de Hong Kong a évolué de manière extrêmement rapide et brutale et certaines des prédictions auxquelles je me suis livré se sont réalisées après seulement quelques mois. Par exemple, à l’époque, je ne pensais pas imaginable qu’un policier puisse tirer à balle réelle sur un manifestant – comme je le dessine précisément dans une des illustrations de cette série –, mais quelques mois seulement après, le 1er octobre 2019, un manifestant était effectivement blessé par balle.

Je fais aussi référence au culte de la personnalité de Xi Jinping, en forçant certes le trait, quand j’évoque l’obligation pour chaque foyer d’afficher son portrait au sein de son salon comme les citoyens de l’Allemagne nazie se le voyaient imposer. Nous n’en sommes pas encore là, mais on en perçoit les prémices. Ainsi, même si ce n’est pas le cas de toutes les écoles primaires, certains établissements connus pour leur soutien au Parti communiste chinois ont commencé à intégrer dans leurs programmes l’enseignement de la pensée Xi Jinping et c’est quelque chose qui aurait semblé inimaginable par le passé. 

M’adresser aux lecteurs hongkongais sur les questions politiques via mes dessins serait certainement plus productif que de rejoindre les cortèges.

– Lau Kwong-Shing, illustrateur

S’engager dans la BD politique n’est pas sans risque, pourquoi avoir choisi cette voie ? Ne craignez-vous pas les foudres de Pékin ? 

C’est une éventualité à laquelle j’ai réfléchi, car c’était en effet une entreprise qui présente des risques. Les rues de Hong Kong n’ont pas attendu 2019 pour accueillir des mouvements de contestation. Me concernant, je me suis toujours intéressé à la politique et aux questions de société, et c’est à partir de 2012 que j’ai commencé à participer à ces mouvements. J’ai arpenté la rue avec d’autres manifestants. Et progressivement, j’ai constaté que manifester n’avait aucun effet sur le gouvernement hongkongais, car celui-ci n’est pas un gouvernement élu par le peuple. Si dans les sociétés vraiment démocratiques, des mouvements populaires sont parvenus à infléchir le cours des événements, ce n’est tout simplement pas le cas à Hong Kong.

En 2019, je me suis dit que m’adresser aux lecteurs hongkongais sur les questions politiques via mes dessins serait certainement plus productif que de rejoindre les cortèges. À quel moment ai-je réellement décidé de franchir le pas ? C’est une décision qui n’était pas sans lien avec les prises de position de stars hongkongaises, à l’image de Chapman To ou d’Anthony Wong, qui comptent parmi les plus grands acteurs de cinéma. À mon sens, les risques qu’ils ont courus étaient bien plus grands que dans mon cas : ils n’ont pas hésité à prendre des positions qui mettaient en péril leur carrière et leur exemple m’a inspiré.

Cela allait impliquer des sacrifices : sur le plan professionnel, j’allais devoir faire une croix sur certaines perspectives de collaboration, car prendre position serait très mal accueilli par certains. Dans mon travail et dans mon quotidien, il était évident que cela ne serait pas sans influence. Ma production n’avait jusqu’alors eu aucun lien avec la politique, et soudain, elle se trouvait intimement liée à mes positions. Cela aurait évidemment un impact sur l’espace d’expression dont j’avais bénéficié auparavant, mais toutes ces questions, j’avais pris le temps d’y réfléchir. Il m’a semblé évident que je devais décrire et rapporter les événements auxquels les gens de Hong Kong étaient confrontés. Certes, s’exposer de la sorte présentait des risques, mais le plus important, c’était de rapporter les faits sans les travestir, dans un style fidèle à la réalité.

Traduction Bertrand Speller

► À écouter aussi : Jean-Pierre Cabestan: «Tout espoir de démocratisation de Hong Kong peut être oublié»

NewsletterRecevez toute l'actualité internationale directement dans votre boite mail

Suivez toute l'actualité internationale en téléchargeant l'application RFI

Voir les autres épisodes