Les 190 pays membres de l'agence de l'ONU pour la propriété intellectuelle, l'OMPI, sont réunis jusqu'au 24 mai à Genève pour tenter d'aboutir, après vingt ans de négociations, à un traité international contre la biopiraterie. De quoi s'agit-il ?

La biopiraterie, c'est le pillage du vivant. C'est accaparer les ressources de la faune et de la flore et les savoirs traditionnels. Les biopirates sont de grandes entreprises, en particulier pharmaceutiques, cosmétiques et agroalimentaires, ou bien des centres de recherche scientifique, en général issus des pays du Nord, qui s'approprient les ressources génétiques tirées de plantes, d'animaux ou de micro-organismes principalement issus des pays du Sud, ainsi que les savoirs ancestraux associés.
En déposant des brevets, ces entités en tirent profit sans le consentement des communautés locales et autochtones et sans partager les bénéfices obtenus. « Une nouvelle version du pillage du tiers-monde », résume l'économiste de l'environnement Catherine Aubertin qui explique que ces accusations de biopiraterie ont explosé « après le boom des biotechnologies dans les années 1980 ».
Parmi les cas emblématiques de biopiraterie, on peut citer la stevia, plante édulcorante utilisée par le peuple guarani au Paraguay et au Brésil depuis des siècles et qui a fait les choux gras de Pepsi et Coca-Cola. Il y a aussi un type de melon développé par Monsanto à partir d'une semence sauvage indienne ou encore le rooibos sud-africain dont Nestlé a été accusé d'avoir tiré profit pour des cosmétiques.
Un travail de titan pour recenser les connaissances traditionnelles
Face à la multiplication de ces cas, certains pays ont durci leurs législations nationales et se sont organisés. Dans les années 2000, l'Inde et le Pérou en particulier ont réalisé un travail considérable pour recenser les savoirs traditionnels liés à leur biodiversité, et pour prouver l'antériorité des connaissances de leurs communautés. Au terme de longues batailles judiciaires, ils sont parvenus à faire invalider des brevets.
« La Commission nationale contre la biopiraterie, créée par le Pérou en 2004, a permis d'identifier 250 cas de brevets tirés de ressources biologiques ou de savoirs ancestraux locaux, indique Martha Gomez, spécialiste en droit de la propriété intellectuelle et ressources génétiques à l'université El Externado en Colombie. Soit ils ont réussi à faire annuler ces brevets, soit les entreprises visées ont retiré les brevets à la suite du dépôt de plainte. » L’Inde a, elle, créé sa bibliothèque numérique de savoirs traditionnels (BNST).
Le combat des pays du Sud a aussi été permis par deux outils dont s'est dotée la communauté internationale : la Convention sur la diversité biologique en 1992 - c'est le point de départ des COP sur la biodiversité, et le protocole de Nagoya en 2010, aujourd'hui ratifié par 140 pays. Deux principes sont posés par ces textes : d'une part, pour accéder à des ressources génétiques, il faut demander l’autorisation à l'État et aux communautés locales concernés, et d'autre part, un partage des bénéfices doit être mis en place.
Est-ce que ça marche ?
Pour Catherine Aubertin, directrice de recherche à l'Institut de recherche pour le développement (IRD) en France, ce protocole a permis de « décoloniser la recherche scientifique ». En résumé, par le passé, les scientifiques allaient prélever ce qui les intéressait dans la nature des pays du Sud sans en informer personne. Désormais, ils demandent l'autorisation et partage leurs découvertes, y compris avec les peuples autochtones locaux.
Mais le protocole de Nagoya présente une grosse faiblesse à l'heure actuelle : il ne s'applique qu'au matériel génétique physique, c'est-à-dire tiré d'un morceau de plante prélevé dans la jungle par exemple. Or aujourd'hui, les milliards de séquences génétiques qui existent et à partir desquelles travaillent les chercheurs et les industriels sont dématérialisées. Elles ont été digitalisées et se trouvent dans de grandes banques de données sur internet. Il y en a trois : une en Europe, une au Japon et une aux États-Unis. Toutes ces ressources échappent donc aux règles du protocole de Nagoya qui, jusqu'à maintenant, n'a pas permis beaucoup de retombées financières pour les pays du Sud.
En ce qui concerne les actuelles discussions à Genève autour des brevets, pour la première fois, une entreprise ou un scientifique qui demande à breveter une invention pourrait devoir indiquer l'origine (le pays et le savoir du peuple autochtone concerné) du matériel génétique biologique qui lui a servi. Un premier pas alors que les pays du Sud exercent, ces dernières années, une pression constante à ce sujet lors des négociations internationales environnementales.
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