C'est encore l'hiver ici en Europe, et de nombreux insectes devraient être en pleine hibernation. En Grande-Bretagne pourtant, depuis la fin décembre, les abeilles et les bourdons sont déjà de sortie. Poussés par des températures trop élevées, ils sont en train de construire de nouveaux nids. Un comportement anormal et à haut risque : il n'y a pas encore de fleurs pour les nourrir. Leurs populations risquent donc d'être décimées. Un phénomène que les scientifiques appellent « décalage phénologique ».
« Notre surface terrestre est soumise à des saisons, liées à la position de notre planète par rapport au soleil. Et en fonction des saisons, les organismes vivent de manière différente. Certains préfèrent se développer et se reproduire quand il fait chaud, d'autres à la fin de la saison de pluie ».
Ces cycles de vie des organismes qui sont donc directement calés sur les saisons et dont parle Philippe Grandcolas, directeur de recherche au CNRS, on les appelle la phénologie. Mais avec le dérèglement climatique, les saisons sont en train de changer, et c'est là qu'intervient le décalage phénologique.
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Face à l'instabilité des saisons, certaines espèces changent de comportement
Parce que face aux saisons qui deviennent de plus en plus instables, certaines espèces vont changer de comportement, mais d'autres non. Or, on sait qu'il y a une grande interdépendance entre les organismes vivants. On parle donc de décalage phénologique lorsque les cycles de vie de ces espèces interdépendantes se désynchronisent. Et les exemples de décalages phénologiques se multiplient à travers la planète. Si les abeilles ne trouvent actuellement pas de fleurs en Grande-Bretagne, l’inverse est vrai ailleurs : dans d’autres pays, des arbres fleurissent trop tôt et ne trouvent pas d'insectes pollinisateurs.
Dans ce cas, les arbres ne peuvent pas produire de fruits et donc pas se reproduire, et les populations d'insectes, privées de nourriture, s'effondrent. Le décalage phénologique s'observe également dans les océans : en raison des températures anormalement élevées de l'eau, la migration de milliards de sardines par exemple se décale et ne profite pas au même nombre de prédateurs, comme les requins, les otaries et autres, dont beaucoup ne sont tout simplement pas au bon endroit au bon moment. Un problème similaire se pose avec les oiseaux migrateurs.
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La rapidité du changement climatique prend de court la capacité d’adaptation
Les espèces ne peuvent que difficilement adapter à ce décalage phénologique. Parce que pour cela, leur évolution devrait s'accélérer, explique Philippe Grandcolas, qui étudie l'écologie et l'évolution des organismes. « Le climat change très vite. En espace de dix ou vingt on a un climat très différent. Pour beaucoup d'espèces cela va au-delà de leur capacité de réaction et se traduit par de la mortalité », souligne le chercheur qui dit « espérer qu'il y ait des variations génétiques qui leur permettent de changer. Mais c'est beaucoup plus long et beaucoup plus compliqué ».
Le décalage phénologique aggrave donc l'effondrement de la biodiversité. Et cela nous affecte directement, nous, les humains. On le constate à travers de mauvaises récoltes, par exemple. Ce phénomène nous rappelle les limites de notre capacité d'adaptation au changement climatique.
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